Par Philippe Jouvet, associé.

Pénalités logistiques : Comment interpréter le silence du législateur sur la prescription de 1 an et sur le plafond des 2% ?

Dans l’attente de la publication de lignes directrices de la DGCCRF quant à l’interprétation des nouvelles dispositions des articles L.411-17 et L.411-18 du Code de commerce, les fournisseurs et leurs clients distributeurs auront à cœur pendant l’été de développer et de proposer chacun leur propre interprétation de la loi Descrozaille du 30 mars 2023 sur les deux sujets suivants qui suscitent déjà des controverses :

  • La question de la prescription d’un an des pénalités logistiques (i)
  • Les modalités de calcul du plafond des 2% de la valeur des produits commandés (ii)

I) Prescription d’un an

Pour mémoire, l’article L.411-17 du Code de commerce précise qu’ «aucune pénalité logistique ne peut être infligée pour l'inexécution d'engagements contractuels survenue plus d'un an auparavant. ». Cette prescription n’est pas prévue pour les pénalités qui seraient infligées par le fournisseur au distributeur (réglées par l’article L.411-18 du Code de commerce).

A défaut d’interprétation de l’Administration ou des tribunaux sur la façon d’appréhender cette règle de prescription, il appartient aux parties de se positionner.

L’interprétation favorable au client distributeur est de considérer que cette règle est applicable pour l’inexécution d’engagements contractuels (manquants à la livraison par exemple) à partir du 1er avril 2023 (date d’entrée en vigueur de la loi) et qu’ainsi aucune pénalité ne pourra être réclamée à partir du 1er avril 2024 pour des inexécutions contractuelles antérieures au 1er avril 2023.

Cette lecture prévaut si l’on considère légitimement que la nouvelle loi ne vaut que pour l’avenir.

Le fournisseur lui sera tenté de proposer une autre interprétation : la loi s’applique rétroactivement et ainsi tout avis de pénalité ayant pour fait générateur un manquement antérieur au 1er avril 2022 devra selon lui être considéré comme illégal. Sur le fondement de cette interprétation, il refusera toute pénalité sanctionnant un retard ou un manquant en livraison survenu antérieurement au 1er avril 2022.

L’application rétroactive de la loi s’entend au regard des objectifs développés par la proposition de loi Descrozaille.

Les deux interprétations se valent (loi rétroactive ou non) et c’est la formalisation contractuelle pour le choix d’une interprétation qui sera déterminante, à défaut de précision du Législateur, de l’Administration ou de la jurisprudence.

II) Plafond de 2% de la valeur des produits commandés

Difficile de se prononcer au regard de la rédaction de cette partie de l’article L.411-17 du Code de commerce : « Les pénalités infligées au fournisseur par le distributeur sont proportionnées au préjudice subi au regard de l'inexécution d'engagements contractuels, dans la limite d'un plafond équivalent à 2 % de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l'inexécution d'engagements contractuels a été constatée. ».

Les discussions entre fournisseurs et distributeurs ont déjà commencé pour savoir ce que recouvrait la notion de « catégorie de produits »

La définition de la catégorie de produits n’est cependant pas, selon nous, ce qui est le plus important pour déterminer l’assiette des pénalités logistiques.

L’essentiel porte en effet sur l’assiette de la valeur des produits commandés : s’agit-il de la valeur de l’ensemble des produits de la catégorie de produits commandés ou alors seulement de la valeur des produits manquants de la catégorie de produits commandés ?

Les travaux parlementaires (amendement proposé par la sénatrice Loisier en février 2023 notamment) laisseraient à penser que la première interprétation prévaudrait : « Si un distributeur commande, dans le même temps, mille boites de céréales et mille paquets de pâtes, et qu’un manquement est constaté sur 20 boites de céréales, la pénalité logistique ne pourra être supérieure à 2 % de la valeur de la commande de céréales, et non de la valeur de la commande totale. »

Mais ces précisions ont plus été selon nous apportées pour définir la notion de catégorie et il est difficile d’en tirer une conclusion définitive sur la question de l’assiette (produits commandés vs seuls produits manquants).

L’exemple ci-dessus pourrait être lu de la façon suivante :

Si la boite de céréales coûte 5 euros, la valeur de la commande sera alors 5000 euros (mille boites) et non 100 euros (20 boites). La pénalité peut alors être capée à 100 euros (2% de 5000) et non pas 2 euros (si l’on prenait comme assiette la valeur des produits manquants : 2% de 100 euros).

Dans ce même exemple, la valeur de la pénalité est égale à la valeur de la commande des produits manquants (100 euros). La pénalité équivaut alors à 100 % de la valeur des produits manquants la où auparavant la pratique (notamment prévue dans les contrats des distributeurs) était de caper de 15 à 30%.

Le principe de proportionnalité de la pénalité au préjudice subi (qui figure à la fois à l’article L.411-17 et à l’article L.411-18) permet peut-être alors de réconcilier les différentes interprétations.

Si l’application de la règle des 2% (qui doit être un plafond et non un plancher) conduit à un montant de pénalité déconnecté du préjudice subi par le distributeur ou le fournisseur, alors il convient de retenir l’assiette de valeur de produits commandés qui est la plus respectueuse de principe de proportionnalité, afin que la pénalité logistique puisse réparer justement et proportionnellement le préjudice subi. 

Fournisseurs ou distributeurs, soyez vigilants sur l’interprétation et la formalisation de vos positions !

Philippe Jouvet

Associé

Avocat specialise en droit de la concurrence, distribution et consommation, philippe jouvet est un expert du secteur agricole et agro-alimentaire.

Avant de rejoindre Ginestié Magellan Paley-Vincent en qualité d’associé, Philippe Jouvet était Responsable juridique concurrence, distribution et consommation au sein de la coopérative TEREOS au sein de laquelle il a mis en œuvre le dispositif prévu par la Loi EGALIM.