Par Rudy Lentini, counsel, Alice Boselli et Anahit Zakaryan, stagiaires

Pas de prescription pour la restitution des œuvres d’art spoliées lors de la seconde guerre mondiale

Le 20 janvier 2023, une plainte a été déposée devant la Cour suprême de Manhattan contre le célèbre Guggenheim Museum à New York. Les héritiers d’un collectionneur juif allemand demandent la restitution d’un chef-d’œuvre de Picasso ou 100 à 200 millions de dollars de dommages et intérêts, invoquant une vente forcée en octobre 1938. Aux Etats-Unis, la loi « Holocaust Expropriated Art Recovery Act » (HEAR Act) de 2016 permet aux victimes de la Shoah et leurs héritiers de demander la restitution des œuvres d’art vendues illégalement ou extorquées pendant l’Allemagne nazie dans les six années suivant la découverte de la localisation de l'œuvre.

Une telle demande de restitution serait-elle possible en France ?

Oui ! Certes, en France, les règles déterminant les délais au-delà desquels il n’est plus possible d’engager d’action en justice sont assez stricts. Cependant, prenant en considération l’engagement de la France à faire œuvre de justice et à contribuer à la mémoire des victimes des spoliations effectuées pendant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs recours ont été mis en place permettant la restitution des biens culturels spoliés aux ayants-cause des victimes.

A ce titre, certaines institutions affiliées au ministère de la Culture jouent un rôle important permettant aux ayants-cause des personnes physiques et morales spoliées d’obtenir, grâce aux archives, des informations sur les circonstances de la spoliation ou encore sur la situation actuelle du bien.

Ainsi, si la spoliation d’un bien culturel est intervenue en France pendant la période de l’occupation (juin 1940 - fin 1944) et que l’œuvre n’a pas été localisée, les ayants-cause d’une victime de spoliation peuvent déposer un dossier auprès de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS) et/ou auprès de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS). Ces organismes effectueront alors des recherches sur la situation actuelle de l’œuvre d’art.

Une fois le bien localisé, avec l’aide de la M2RS, de la CIVS ou par les ayants-cause eux-mêmes, la demande en restitution de l’œuvre va alors dépendre du statut de celle-ci : 

  • Est-elle la propriété d’une personne ou d’un organisme privé ? 
  • Est-elle conservée dans un musée public sous le statut d’œuvre MNR, Musées nationaux récupération, ou dans une bibliothèque publique ? 
  • Fait-elle partie des collections publiques d’un musée ou d’une bibliothèque ?

Si l’œuvre spoliée est la propriété d’une personne ou d’un organisme privé, seul le juge judiciaire peut ordonner la restitution.

L’ordonnance n°45-770 du 21 avril 1945 prévoit la nullité de tout acte de spoliation commis en France par l’occupant ou par le régime de Vichy. La demande en nullité de l’acte est formulée par les ayants-cause des victimes, à l’encontre du propriétaire actuel de l’œuvre devant le Président du tribunal judiciaire. Le choix de la juridiction territorialement saisie sera laissé au demandeur, qui pourra par exemple saisir la juridiction du lieu où se trouve l’œuvre revendiquée. Ainsi, si le juge fait droit à la demande de nullité, il sera alors ordonné la restitution immédiate des œuvres (article 17 de l’ordonnance). L’acquéreur ou les acquéreurs successifs seront considérés comme possesseurs de mauvaise foi au regard du propriétaire dépossédé et ne pourront se prévaloir d’un quelconque droit de rétention (article 4 de l’ordonnance). Selon l’article 21 de l’ordonnance, la demande en nullité n’est plus recevable depuis le 1er janvier 1952. Ainsi, pour que sa demande soit recevable, le propriétaire dépossédé devra rapporter la preuve qu’il s’est trouvé, même sans force majeure, dans l’impossibilité matérielle d’agir avant le 31 décembre 1951. Cette disposition permet alors aux ayants-cause d’agir sans que la prescription ne soit un obstacle. Sur ce point, la Cour d’appel de Paris a dans un arrêt du 30 septembre 2020 considéré qu’au regard de la dispersion de la famille dans un contexte de guerre et des confiscations intervenues, le fait de ne pas avoir été en mesure de connaître exactement le sort de l’ensemble des biens ayant fait l’objet de spoliations peut servir en tant que fondement pour relever les demandeurs de la forclusion. La Cour d’appel a également qualifié la volonté des demandeurs de régler le conflit à l’amiable en tant qu’une manifestation de l’impossibilité matérielle d’agir dans les délais mentionnés ci-dessus.

C’est ainsi dans cette même décision que la Cour d’appel de Paris a constaté « qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments l’existence d’indices précis, graves et concordants que le tableau conservé au musée Cantini sous le numéro C87.50 « Pinède, Cassis » est bien un tableau spolié dontla vente, survenue entre 1940 et 1942, est nulle et qui doit être restitué par la ville de Marseille, [au] sous-acquéreur, [les] consorts A » (Cour d’Appel de Paris, 30 septembre 2020, n°19/18087). L’Etat français et la ville de Marseille ont donc été condamnés à restituer 3 tableaux aux ayants-cause des propriétaires. 

Si l’œuvre spoliée est détenue sous le statut d’œuvre MNR (Musées nationaux de récupération), la restitution s’opère par voie administrative, y compris devant le tribunal administratif.

Les œuvres inventoriées MNR ont pour caractéristique principale d’être confiées à la garde temporaire des musées nationaux et de certains musées territoriaux sans appartenir au patrimoine de l’Etat. Ce sont des œuvres qui ont été ramenées d’Allemagne en France, car certains indices laissaient à penser qu’elles étaient issues de collections françaises, et dont les propriétaires n’étaient pas connus.

Pour ces œuvres, la restitution pourra être ordonnée par le Premier ministre, sur recommandation de la CIVS ou sur proposition du ministère de la Culture. Si la CIVS n’a pas été saisie, la demande de restitution sera à effectuer directement auprès du ministère des Affaires étrangères. Si le Premier ministre refuse de suivre la recommandation du CIVS ou que le ministère des Affaires étrangères ne fait pas droit à la demande, un recours pourra être engagé par les ayants-cause à l’encontre de l’Etat, devant le tribunal administratif. A l’instar du recours devant le juge judiciaire, les ayants-cause devront prouver qu’ils sont bien propriétaires de l’œuvre dont la restitution est demandée. 

Les œuvres d’art, relevant des collections publiques, inaliénables et imprescriptibles, ne peuvent être restituées qu'à l’initiative de l’Etat par adoption d’une loi. 

Enfin, si le bien fait partie des collections publiques d’un musée, la restitution sera organisée à l’initiative de l’Etat par l’adoption d’une loi. Le 21 février 2022, la loi n°2022-218 « relative à la restitution ou la remise de certain biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites » a été promulguée. Ce sont 15 œuvres dont « Rosiers sous les arbres » de Gustav Klimt, conservée au musée d’Orsay, qui ont ainsi été restituées. La ministre de la Culture Madame Rima Abdul Malak a en outre annoncé lors d’un entretien accordé au journal Le Monde le 16 janvier 2023 que trois lois-cadres visant à faciliter les restitutions de biens culturels étrangers, de restes humains et d’œuvres spoliées par les nazis seront présentées au Parlement courant 2023.

A suivre donc…

 

Portraits GINESTIÉ MAGELLAN PALEY-VINCENT 2021

Rudy Lentini

Counsel

Rudy Lentini défend régulièrement les clients du cabinet dans le cadre de litiges complexes avec leurs prestataires stratégiques. 

Il développe également une expertise concernant les litiges liés aux oeuvres d'art.