Par Philippe Jouvet, associé.

Vente à perte, Shrinkflation… : Décryptage d’une riche rentrée sémantique en droit de la concurrence et de la distribution.

L’inflation persistante depuis un an et demi et son ressenti par les consommateurs ont mis sous les feux de l’actualité les pratiques de la distribution et de ses fournisseurs peu connues du grand public.

On connaît également l’intérêt du politique à se saisir des questions du pouvoir d’achat.

Dans son entretien de rentrée au Parisien le 16 septembre, la Première ministre a ainsi tracé de nouvelles pistes législatives pour autoriser la « vente à perte » de carburants et pour lutter contre la pratique de shrinkflation.

Décryptage de ces deux concepts qui ont de fortes implications en droit économique.

Vente à perte : Attention à l’abus de langage et à l’abus de position dominante !

La déclaration récente de la Première Ministre sur la possibilité qui serait octroyée aux distributeurs de carburants de « vendre à perte » nous permet de revenir sur cette notion, dont l’usage est souvent galvaudé.

Premièrement, il est important de distinguer la vente à perte de la revente à perte. La loi (et en particulier l’article L.442-2 du Code de commerce)  prévoit que : « Le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d'annoncer la revente d'un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif est puni de 75 000 euros d'amende. »

C’est donc bien la revente et non la vente à perte qui est interdite ou du moins fortement encadrée par le législateur. Des exceptions à l’interdiction (comme les produits soldés) sont déjà listées à l’article L.442-4 du Code de commerce.

Il est ainsi parfaitement légal de vendre à perte tant que l’on respecte le cadre plus large du droit de la concurrence, qui prohibe l’abus de position dominante mis en œuvre par les entreprises pratiquant les prix prédateurs.

La prédation ou le sacrifice sur sa marge à court terme afin d’éliminer ses concurrents sur le moyen et long terme.

Deuxièmement, la pratique de revente à perte dépend fondamentalement de la définition juridique du seuil de revente à perte (« SRP ») qui est donnée par le Code de commerce à travers la notion de « prix d’achat effectif » : il s’agit du prix unitaire net figurant sur la facture d'achat, minoré du montant de l'ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport.

Le législateur joue volontiers avec le seuil de revente, imposant par exemple dès 2018 avec la Loi EGALIM dans le domaine alimentaire un « SRP + 10 » qui a été récemment fortement décrié comme étant procyclique en forte période d’inflation.

Ce même législateur devra encore faire preuve d’ingéniosité pour créer un régime spécifique pour la revente à perte des carburants tout en indemnisant les distributeurs indépendants qui seront les grands perdants d’une guerre des prix sur les carburants.

Shrinkflation : La régulation par les acteurs jusqu’au dénigrement ?

La pratique de réduflation (« shrinkflation ») consiste pour un fabricant en la réduction du volume du produit sans en baisser le prix. Pourquoi adopter cette stratégie en cas d’inflation ? Des données économiques montrent que les consommateurs ont moins tendance à se détourner d’un produit en cas de réduction du volume qu’en cas de hausse du prix[1].

Pratique considérée par beaucoup comme immorale mais difficilement qualifiable d’illégale. Il n’y a pas tromperie du consommateur dans la mesure où le fabricant respecte bien les règles d’étiquetage sur le paquet du produit et d’affichage en rayon (notamment le prix unitaire ou le prix au kilo). L’annonce de prochaines propositions de loi (reprises en cœur par la Première ministre dans son entretien précité) qui viseraient à faire de la réduflation une pratique commerciale trompeuse per se, laisse dubitatif.

La régulation par les acteurs eux mêmes (association de consommateurs, distributeurs) d’ores et déjà en œuvre dans les rayons des grandes et moyennes surfaces (GMS) nous apparaît bien plus efficace. C’est une vraie politique de name and shame qui est mise en œuvre dans le but d’informer le consommateur. Mais attention à ne pas dépasser ici aussi les limites du droit !

La dénonciation de certaines grandes marques pratiquant la réduflation par les distributeurs (qui sont aussi concurrents à travers les produits à marque de distributeurs) pourrait faire l’objet d’une action en dénigrement, sur le fondement de la concurrence déloyale. S’en prendre aux méthodes commerciales d’un concurrent et porter atteinte à sa marque peut effectivement ouvrir droit à réparation, si une faute, un préjudice et un lien de causalité entre l’un et l’autre est démontré devant le juge. Contrairement à la diffamation, le comportement fautif est qualifié même si le défendeur apporte la preuve de l'exactitude des faits révélés.

Reste à savoir si les acteurs qui sont aussi souvent partenaires ont intérêt à franchir le pas d’une action judiciaire.

[1] The Conversation, 24 avril 2022, Why getting less with shrinkflation is preferable to paying more, https://theconversation.com/why-getting-less-with-shrinkflation-is-preferableto-paying-more-181326 cité dans le Rapport Concurrence et inflation publiée par l’OCDE en novembre 2022.

PHILIPPE J

Philippe Jouvet

Associé

Avocat specialise en droit de la concurrence, distribution et consommation, philippe jouvet est un expert du secteur agricole et agro-alimentaire.

Avant de rejoindre Ginestié Magellan Paley-Vincent en qualité d’associé, Philippe Jouvet était Responsable juridique concurrence, distribution et consommation au sein de la coopérative TEREOS au sein de laquelle il a mis en œuvre le dispositif prévu par la Loi EGALIM.