Par Jean-Baptiste-Guillot, Associé et Virginie Molho, Counsel

Les impacts sur le sport professionnel de la loi visant à démocratiser le sport en France 

Publiée au Journal Officiel de la République Française le 3 mars 2022, la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France (la « Loi») était attendue depuis plus de trois ans par le mouvement sportif. 

Initialement composée de onze articles, la Loi en contient cinquante-neuf et s’articule comme suit :

  • Titre Ier relatif au développement de la pratique pour le plus grand nombre (articles 1 à 28 de la Loi).
  • Titre II relatif au renouvellement du cadre de la gouvernance des fédérations, de leurs instances déconcentrées, des ligues professionnelles et des organismes de représentation et de conciliation (articles 29 à 44 de la Loi).
  • Titre III relatif au modèle économique sportif (articles 45 à 59 de la Loi).

L’objet du présent article est de décrypter plus particulièrement les conséquences de la Loi sur le sport professionnel. 

Le Titre III de la Loi concrétise en effet des avancées attendues de longue date par les acteurs du sport professionnel :

  • La reconnaissance législative de la plateforme de lutte contre les manipulations des compétitions sportives, 
  • La possibilité pour les ligues professionnelles de créer des sociétés commerciales pour la commercialisation et la gestion des droits d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’elles organisent, 
  • La possibilité pour les sociétés sportives de se constituer en sociétés coopératives d’intérêt collectif, et
  • L’allongement de trois à cinq ans de la durée du premier contrat des jeunes sportifs professionnels.

La reconnaissance législative de la plateforme de lutte contre les manipulations des compétitions sportives

La plateforme nationale de lutte contre la manipulation des compétitions sportives qui existe depuis plusieurs années et qui vise à sécuriser les échanges d’informations avec les plateformes étrangères lors des grands événements sportifs internationaux est à présent inscrite dans la Loi (article 46 de la Loi créant un chapitre V « Plateforme de lutte contre les manipulations des compétitions sportives » dans le Titre III du livre III du Code du Sport). 

Les missions de la plateforme nationale de lutte contre la manipulation des compétitions sportives sont précisées, ainsi que les prérogatives de ses membres. 

La plateforme est présidée par le ministre chargé des Sports (nouveaux articles L. 335-1 à L. 335-3 du Code du sport). 

De plus, de nouvelles attributions sont confiées à l’Autorité nationale des jeux (ANJ) pour protéger les compétitions sportives et les opérateurs autorisés. Cette dernière peut désormais bloquer les sites de paris illégaux par un blocage administratifet non plus judiciaire. 

Ainsi, le président de l’ANJ pourra dresser la liste noire des sites qui devront être bloqués par les fournisseurs d’accès à internet (article 49 de la Loi, modifiant l’article 61 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation des jeux d’argent et de hasard en ligne).

La possibilité pour les ligues professionnelles de créer des sociétés commerciales pour la commercialisation et la gestion des droits d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’elles organisent

L'utilité de permettre à la ligue de football professionnel de créer une société commerciale avait fait l'objet d’une proposition dans le cadre du Rapport d'information n° 437 des Sénateurs Jean-Jacques Lozach  et Claude Kern, déposé au nom de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, le 22 février 2017. Lesdits Sénateurs avaient conclu dans leur proposition n° 16 de l'intérêt d'ouvrir cette possibilité sans autant que la société commerciale ne se substitue à la ligue qui devait conserver son rôle pour répartir les revenus et exercer ses compétences régaliennes.

En effet, le développement des sports collectifs français professionnels nécessite d'accroître la capacité des ligues à augmenter leurs ressources. Or, la structure associative des ligues professionnelles peut constituer un inconvénient puisque la gouvernance associative rend souvent difficile la prise de décision et que le secret des délibérés dans ce type de structures n'est pas nécessairement respecté par tous les acteurs.

La transformation de la Ligue en société commerciale, sur le modèle anglais, a été exclue car elle revenait à devoir rétrocéder aux fédérations sportives les compétences régaliennes des ligues professionnelles ; aussi, les parlementaires ont opté pour une évolution « à l'allemande » avec la création d'une filiale chargée de négocier les droits commerciaux.

Les parlementaires ont ainsi ouvert la possibilité pour les ligues professionnelles de créer une société commerciale, adossée à un fonds d'investissement, pour gérer les droits sportifs. Cette disposition vise à répondre aux difficultés que connaissent les clubs professionnels et à assurer leur pérennité financière, à l’heure où leur modèle est menacé par la crise sanitaire internationale et ses conséquences.

Plus précisément, il s’agit donc de permettre aux ligues de constituer une société commerciale en vue de vendre et gérer les droits commerciaux des manifestations qu’elles organisent, sous réserve de l’accord de la fédération délégataire de rattachement. Les statuts de cette société sont soumis à l’approbation de la fédération concernée et du ministère chargé des sports. La ligue doit détenir au moins 80 % du capital et des droits de vote de la société.

Il est précisé que le droit de consentir à l'organisation de paris sur les manifestations sportives organisées par la ligue professionnelle est exclu du champ des droits d'exploitation susceptibles d'être confiés à la société commerciale.

S’agissant de la ligue de football professionnel (LFP) à l’issue d’un processus concurrentiel et après revue détaillée des offres fermes reçues, le Conseil d’Administration de la LFP a décidé le 18 mars 2022 d’entrer en négociations exclusives avec la société d’investissement CVC. Cette opération permettrait à la LFP de céder 13% de la nouvelle société commerciale en contrepartie d’1.5 milliards d’euros, valorisant ainsi la société commerciale à 11.5 milliards d’euros.

La possibilité pour les sociétés sportives de se constituer en sociétés coopératives d’intérêt collectif

La Loi inscrit dans le Code du Sport une septième forme de société sportive, la société coopérative d'intérêt collectif (article 52 de la Loi complétant l’article L. 122-2 du Code du Sport), forme de société sportive utilisée depuis 2019 par le Sporting Club de Bastia qui évolue en Ligue 2.

Il est rappelé qu’avant la Loi, les sociétés sportives pouvaient opter pour l’une des six formes suivantes prévues à l’article L. 122-2 du Code du Sport (depuis la loi n° 2012-158 du 1er février 2012) :

- une société à responsabilité limitée ne comprenant qu'un associé, dénommée entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée (EUSRL) ;

- une société anonyme à objet sportif (SAOS) ;

- une société anonyme sportive professionnelle (SASP) ;

- une société à responsabilité limitée ;

- une société anonyme ;

- une société par actions simplifiée.

A titre de rappel, l'EUSRL ne comprend pour unique associé que l'association sportive et son bénéfice est obligatoirement affecté à la constitution de réserves. Le capital de la SAOS est détenu pour au moins un tiers par l'association sportive et ses bénéfices hors certains cas particuliers ne peuvent être distribués. La SASP peut quant à elle distribuer des dividendes à ses actionnaires et rémunérer les membres de ses organes de direction. 

La société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) fut créée par la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel (loi DDOSEC). La SCIC peut être constituée, soit par création directe d'une société nouvelle (revêtant la forme de SA, de SAS ou de SARL), soit par transformation d'une société ou d'une association existante.

La SCIC est une société commerciale à capital variable dont l’objet social porte sur la production de biens ou la fourniture de services d’intérêt collectif, qui présente un caractère d’utilité sociale.

La SCIC doit comporter au moins trois catégories de personnes parmi ses associés : 

  • les personnes qui bénéficient habituellement, à titre gratuit ou onéreux, des activités de la coopérative,
  • les salariés ou, en l'absence de salariés, les producteurs de biens ou de services de la coopérative, et 
  • la troisième catégorie de membres est très large puisqu'il s’agit de toute personne physique ou morale qui contribue à l'activité de la coopérative, toute personne qui bénéficie des activités de la coopérative, toute personne souhaitant participer bénévolement à son activité ou toute personne publique y compris une collectivité territoriale.

Conformément au principe de fonctionnement de toute coopérative, chaque sociétaire dispose d'une voix à l'assemblée générale de la société même si une répartition par collège est également possible sachant que dans ce cas aucun collège ne peut détenir à lui seul plus de 50 % des voix.

La SCIC se distingue par sa finalité : la production de biens et de services d'intérêt collectif qui doivent présenter un caractère d'utilité sociale. Cette notion, définie dans l'article 2 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014, définit quatre types d'action : le soutien à des personnes en situation de fragilité ; la préservation et le développement du lien social ; la contribution à l'éducation ; et le concours au développement durable et à la transition énergétique.

Parmi les avantages du statut de SCIC pour les associations sportives, soulignons la nature hybride du régime qui allie les avantages d'une société commerciale classique à ceux d'une structure associative au service d'un intérêt commun, conformément aux valeurs du sport. En outre, la possibilité reconnue aux collectivités territoriales de participer et de subventionner les SCIC constitue également un atout de ce dispositif.

A titre d’exemple, le Sporting Club de Bastia a créé à la fin 2019 une SCIC qui a permis d'associer au capital les fondateurs (38 % des voix du conseil d'administration), les supporteurs (20 %), des salariés et anciens salariés (10 %), les municipalités de Bastia, Porto-Vecchio et Campile (10 %) ainsi que des acteurs économiques locaux (22 %).

L’allongement de trois à cinq ans de la durée du premier contrat des jeunes sportifs professionnels

Il est rappelé que l’article L. 211-5 du Code du Sport détermine les obligations incombant aux organismes formateurs et aux jeunes sportifs dans le cadre de leur formation.

Ses deux premiers alinéas prévoient ainsi la signature obligatoire d’une convention entre le jeune joueur et l’organisme, qui détermine la durée, le niveau et les modalités de la formation.

Le troisième alinéa prévoit qu’à l’issue de la formation, s’il entend exercer à titre professionnel la discipline sportive à laquelle il a été formé, le bénéficiaire de la formation peut être dans l’obligation de conclure, avec l’association ou la société dont relève le centre de formation, un contrat de travail de sportif professionnel dont la durée ne peut excéder trois ans.

Désormais, le premier contrat professionnel proposé par un club formateur pourra par dérogation passer de trois à cinq ans au maximum, si un accord entre les partenaires sociaux de la discipline le prévoit. Un décret doit en fixer les conditions (article 47 de la Loi complétant l’article L. 211-5 du Code du Sport).

Cette mesure attendue depuis longtemps par les clubs vise à protéger les clubs formateurs de la fuite des joueurs vers l’étranger, notamment ; la mise en place de ce dispositif nécessite néanmoins un accord collectif.

Usage encadré des fumigènes dans les enceintes sportives

L’article 54 de la Loi modifiant l’article L332-8 du Code du Sport vise à distinguer l'usage réglementé des fumigènes dans les enceintes sportives des usages dangereux ou proscrits par les autorités.

Ainsi, par dérogation et pour une durée de trois ans, le préfet pourra autoriser l’usage encadré d’engins pyrotechniques lors d’une manifestation sportive, sur demande de l’organisateur de la manifestation et du propriétaire de l’enceinte sportive, dès lors que les conditions de sécurité des personnes et des biens sont préservées. Le maire de la commune où se situe l’enceinte devra être informé de la délivrance de cette autorisation. Cette mesure répond à une demande récurrente des associations de supporteurs de football.

Par ailleurs, l’introduction, la détention ou l’usage de fusées ou artifices de toute nature (tels que les fumigènes) ou l’introduction d’objets susceptibles de constituer une arme dans une enceinte sportive lors du déroulement ou de la retransmission en public d’une manifestation sportive sont désormais sanctionnés plus lourdement, les auteurs de ces infractions étant passibles d’une amende forfaitaire d’un montant de 500 € (contravention de deuxième classe). Cette mesure se veut être une réponse pénale adaptée et individualisée pour contrer les phénomènes de violence dans les stades qui se sont accentués en France cette saison.

Conclusion

Nous sommes d’avis que la Loi contient des avancées positives même si certaines attentes du sport professionnel n’ont pas été satisfaites, telles que :

  • La révision du dispositif lié à l'exploitation commerciale de l'image, du nom et de la voix des sportifs et entraineurs professionnels défini à l’article 17 de la loi n° 2017-261 du 1er mars 2017 visant à préserver l’éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs, au décret n° 2018-691 du 1er août 2018 et à l’instruction interministérielle du 2 juillet 2019). En effet, il convient de réviser le dispositif existant qui n’est pas attractif et applicable en toute sécurité pour les clubs, les sportifs et leurs entraîneurs. Lors de l’examen de la proposition de Loi, les Sénateurs ont voté un article visant à rétablir le droit à l’image collectif (DIC) tel qu’il a existé jusqu’en 2010, article qui a été supprimé par les Députés, ce que nous regrettons.
  • La création d’une mesure concrète de soutien au sponsoring sportif sous la forme d’un crédit d’impôt transitoire sur les contrats de sponsoring visant à accompagner les clubs professionnels dans cette période de désengagement des sponsors due à la crise sanitaire internationale.
  • La légalisation en France de la publicité virtuelle prévue par la directive du Parlement européen et du Conseil « Fournitures deServices de médias audiovisuels » du 14 novembre 2018 qui pourrait être également une source de revenus pour les clubs et organisateurs de compétitions sportives. Rappelons que la publicité virtuelle est « le fait d’utiliser des techniques virtuelles pour insérer des messages publicitaires, notamment lors de la diffusion d’événements sportifs, par remplacement virtuel des panneaux publicitaires existants sur le terrain ou par incrustation de nouvelles images (le cas échéant, tridimensionnelles) » et que ce procédé est notamment autorisé en Angleterre et en Allemagne.
Jean-Baptiste-Guillot

Jean-Baptiste Guillot

Associé

Jean-Baptiste Guillot intervient en fusions-acquisitions, alliances stratégiques, droit commercial, droit des sociétés et des contrats, dans le cadre d'opérations le plus souvent internationales impliquant en particulier des entreprises canadiennes, britanniques et françaises.

Portraits GINESTIÉ MAGELLAN PALEY-VINCENT 2021

Virginie Molho

Counsel

Virginie a acquis une solide expertise dans le droit du sport lui permettant d’accompagner les acteurs de l’industrie sportive dans tout type de problématiques juridiques en droit commercial, droit des sociétés, droit des associations et droit social appliqués au sport.