Par Carine Duchemin, Associée et Line Poberznick

Sociétés mères, attention, vous allez enfin pouvoir déduire vos crédits d’impôt de vos quotes-parts de frais et charges sur les dividendes reçus de vos filiales étrangères. 

De manière générale, lorsqu’une société reçoit de sa filiale étrangère des dividendes, ceux-ci sont imposés une première fois par l’administration fiscale du pays de la filiale, puis une seconde fois par l’administration fiscale du pays de la société mère. 

Afin d’éviter ces doubles impositions, les stipulations des conventions fiscales internationales, qui s’inspirent de l’article 23 B du modèle de convention de l’OCDE, de même que le 1 de l’article 220 du code général des impôts (« CGI »), prévoient un mécanisme de crédit d’impôt imputable sur le montant de l’impôt sur les sociétés (« IS ») à la charge de la société mère, sans que la déduction ne puisse excéder la fraction de l’IS correspondant au montant des revenus perçus. Dès lors, en cas d’exonération totale du dividende perçu, ce qui est généralement le cas des dividendes bénéficiant du régime mère-fille, le crédit d’impôt ne pourra être imputé.

Si ce mécanisme est usité et bien connu, les modalités de son application au mécanisme de quotes-parts de frais et charges (« QPFC ») étaient plus incertaines. 

A l’origine, l’article 216 du CGI exonérait d’IS les produits de participation répondant au régime des sociétés mères, sous réserve de la réintégration d’une QPFC fixée forfaitairement à 5% du montant des dividendes perçus. Toutefois, la société bénéficiaire avait la possibilité de plafonner la QPFC taxable à hauteur des frais et charges qu’elle avait supportés. A ce titre, le Conseil d’Etat avait affirmé dans une décision SA Fournier Industrie et Santé du 23 avril 1997, que la réintégration de la QPFC n’a pas pour objet d’assurer une imposition résiduelle des produits de participation, de sorte que le crédit d’impôt reçu par une société mère ne pouvait s’imputer sur l’imposition de cette QPFC. 

Dès lors, l’administration fiscale considérait de longue date que, puisque l’imposition de la QPFC ne s’analysait pas en une imposition partielle des dividendes, le crédit d’impôt ne pouvait s’imputer sur la QPFC. 

La loi de finances pour 2011 a supprimé cette possibilité, et depuis lors, toutes les sociétés mères doivent réintégrer forfaitairement une QPFC de 5% sans pouvoir prendre en considération le montant des frais et charges réellement engagés. 

De plus, la loi de finances pour 2013, emportant création d’une QPFC de 12% sur les plus-values de cession de titres de participation, ne prévoyait pas de mécanisme de prise en compte des frais réels (art. 219 CGI). 

Pour autant, l’administration fiscale a continué à indiquer dans sa doctrine que la taxation de la QPFC ne s’assimilait pas à une quelconque imposition des dividendes, ce qui a pour conséquence que le crédit d’impôt, généré par l’imposition des dividendes auprès de la société qui les émet, ne pouvait être utilisé. 

Or, depuis 2021, le Conseil d’Etat commence à revenir sur sa jurisprudence SA Fournier Industrie et Santé. Ainsi, dans une décision SA Air Liquide du 15 novembre 2021 relative à la QPFC afférente aux plus-values de cession de titres de participation (art. 219 CGI), il a jugé que cette QPFC de 12% du montant brut des plus-values de cession était une imposition, à un taux réduit, des plus-values de cession de titres de participation.

La cour administrative d’appel de Lyon a eu l’opportunité de statuer sur un litige similaire dans un arrêt en date du 27 janvier 2022, Raymond et Cie, et ainsi d’approfondir la logique de la décision L’Air Liquide. Elle juge que la soumission à l’IS de la QPFC, fixée forfaitairement, de 5% des dividendes, s’analysait comme une modalité d’imposition de l’ensemble de ces revenus en France. 

Ce raisonnement a été confirmé dans une décision SA AXA du 5 juillet 2022 (n°463021). Le Conseil d’Etat a, ainsi, annulé la décision du ministre de l’Économie refusant d’abroger la doctrine administrative considérant que la QPFC prévue à l’article 216 du CGI ne constitue pas une imposition des dividendes.

Dans ce recours pour excès de pouvoir formé par la société AXA, la question était de connaître la nature des réintégrations de cette QPFC au résultat soumis à l’IS. 

Selon le rapporteur public, Romain Victor, la réintégration doit s’analyser : 

  • soit comme la neutralisation, à concurrence d’un montant défini forfaitairement par la loi fiscale, de charges qui ne doivent pas être déduites du bénéfice, dès lors qu’elles sont afférentes à des produits qui ne sont pas imposés ;
  • soit comme une imposition sur tout ou partie des dividendes de source étrangère.

Le rapporteur public conclu dans le sens de la société AXA aux vues des jurisprudences récentes, ainsi que de l’argument selon lequel la QPFC étant forfaitaire, elle ne prend pas en considération les frais réellement engagés. En effet, « si les charges et frais réintégrés aux résultats étaient strictement égal au montant des charges et frais généraux supportés au titre de l’acquisition et de la gestion des titres des filiales distributrices, selon une logique de frais réels, ou si, à défaut d’être strictement égal, le montant réintégré était jugé approchant ou suffisamment représentatif des charges et frais effectivement supportés, alors il n’y aurait pas d’obstacle à voir dans la QPFC un pur mécanisme de neutralisation de la déduction de frais exposés pour l’acquisition ou la conservation d’un revenu afférent à une opération elle-même exonérée ». 

Ainsi, le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions de l’article 216 du CGI « doivent être regardées non comme ayant pour seul objet de neutraliser la déduction, opérée au titre de ses frais généraux, des charges afférentes aux titres de participation dont les produits sont exonérés d’impôt sur les sociétés, mais comme visant à soumettre à cet impôt, lorsque le montant des frais est inférieur à cette quote-part forfaitaire, une fraction des produits de participations bénéficiant du régime des sociétés mères ». 

Selon lui, la QPFC constitue, du moins en partie, une imposition des dividendes et par conséquent, le crédit d’impôt peut être imputé sur cette QPFC

Cependant, les modalités d’imputation du crédit d’impôt restent encore incertaines, en ce sens que la QPFC a été créée dans le but de couvrir les frais engendrés par la perception des dividendes. La question est donc de savoir si le crédit d’impôt pourra s’imputer sur l’entièreté de la QPFC ou seulement sur une part de celle-ci. 

La première perception, évoquée par le rapporteur public, consiste à assimiler la taxation de la QPFC réintégrée à une imposition prélevée sur une assiette totale, égale au montant des revenus perçus, sous déduction de tous les frais réellement supportés. Dès lors, il n’y aurait pas d’exonération, et donc aucune raison de réintégrer les charges. Cependant, cette conception n’est pas en accord avec le droit de l’Union européenne puisque celui-ci dispose que les dividendes ne peuvent être imposés dans l’Etat de la société mère. 

Le rapporteur public évoque dans un second temps une conception qui consiste à regarder la réintégration de la QPFC comme aboutissant à juxtaposer une exonération et une imposition, en ce sens que la réintégration aboutirait à neutraliser les charges et imposer au-delà de ce montant. 

Le Conseil d’Etat devrait éclaircir cette question dans le cadre du pourvoi formé par le ministère public à l’encontre de l’arrêt de la CAA de Lyon, Raymond et Cie. 

Affaire à suivre…….

Carine-Duchemin

Carine Duchemin

Associée

Au sein du département Fiscal, Carine Duchemin intervient en fusion-acquisition, en restructuration d’entreprises et de groupes. Elle a une activité internationale importante comme conseil de groupes internationaux, notamment dans le domaine de l’hôtellerie. Carine Duchemin assiste également les entreprises et leurs dirigeants dans le cadre de contrôles et de contentieux fiscaux.