Par Jean-Baptiste-Guillot, associé

Multipropriété de clubs de football professionnel : entre considérations éthiques et intérêts économiques

De très nombreux clubs de football professionnel européens sont détenus majoritairement par des actionnaires propriétaires d'autres clubs de football au sein d'autres championnats professionnels ; ce phénomène se nomme la multipropriété de clubs de football professionnel ou en anglais multi-club ownership (« MCO »).Cependant, la compétition demeure l'ADN de l'industrie sportive ; or, si une même personne morale ou physique contrôle deux rivaux, il peut y avoir un risque lorsqu'ils s'affrontent au niveau de l'intégrité sportive.

1 – Le MCO : un phénomène en plein essor

La moitié des clubs de football professionnels évoluant en Premier League anglaise et en Ligue 1 française, de même que le tiers des clubs des premières divisions belge et italienne sont concernés par le MCO.

Les investisseurs « MCO » sont le plus souvent des fonds ou Family office américains mais aussi, moins fréquemment, moyen-orientaux, britanniques ou chinois. Ces acquéreurs de clubs de football européens détiennent souvent des intérêts dans des clubs importants dans d'autres sports que le football.

Les intérêts du MCO sont multiples : optimisation de la rentabilité, limitation des risques financiers liés à l'aléa sportif, échanges et optimisation de la valeur des joueurs, mutualisation des moyens, synergies et partage des connaissances, pénétration de la marque etc.

2- L'encadrement juridique du MCO en France

Le championnat de France de Ligue 1 2023/2024 compte donc neuf clubs concernés par la multipropriété ; assez récemment le FC Lorient, acquis par l’américain Bill Foley (Black Knight Football and Entertainment) et le RC Strasbourg, racheté par le consortium d'investisseurs américains BlueCo (propriétaire de Chelsea), ont rejoint le Paris Saint-Germain, l’Olympique Lyonnais, l’OGC Nice, l’AS Monaco, Toulouse FC, Clermont Foot 63 et le RC Lens tous détenus par des multipropriétaires.

La multipropriété des clubs de football professionnel concerne donc la situation dans laquelle une personne physique ou morale détient des actions dans deux ou plusieurs clubs de football.

En France, l’article L.122-7 du Code du Sport dispose qu’ « Il est interdit à une même personne privée de contrôler de manière exclusive ou conjointe plusieurs sociétés sportives dont l’objet social porte sur une même discipline ou d’exercer sur elles une influence notable ». Ainsi, il est interdit à toute personne privée ou publique d'être directement ou indirectement porteuse de titres donnant accès au capital ou conférant un droit de vote dans une société sportive et dont l'objet social porte sur une même discipline sportive. L’objet de ce texte est de préserver l’indépendance et la concurrence entre les clubs, ainsi que l’intégrité des compétitions sportives.

Le MCO est donc bien encadré en France par le Code du sport qui limite l'actionnariat sportif en interdisant la multipropriété des clubs d’une même discipline sportive sur le territoire national, mais rien n'empêche l'actionnaire majoritaire d'un club français d'être également propriétaire d'autres clubs de football professionnel à l'étranger. C'est pourquoi ce phénomène suscite une controverse à l’échelon européen.

3- Le MCO et la problématique des compétitions européennes

Les dispositions de l’article 5 du Règlement des compétitions européennes de l’Union des associations européennes de football (UEFA) précisent qu’ « Aucun club participant à une compétition interclubs de l’UEFA ne peut directement ou indirectement : détenir ou négocier des titres ou des actions de tout autre club participant à une compétition interclubs de l’UEFA ».

Or, le 7 juillet 2023 la première chambre de l'instance de contrôle financier des clubs de l'UEFA a accepté mais sous certaines conditions, que les clubs de football Aston Villa FC (Angleterre) et Vitória Sport Clube (Portugal) d’une part, Brighton & Hove Albion FC (Angleterre) et Royal Union Saint-Gilloise (Belgique) de seconde part, et AC Milan (Italie) et Toulouse FC (France) de troisième part, puissent participer aux compétitions interclubs de l'UEFA pour la saison 2023/2024.

Pour participer à ces compétitions, les clubs susmentionnés (les « Clubs ») ont été contraints d’accepter les règles suivantes :

  1. les Clubs ne se transféreront pas de joueurs entre eux, ni de manière permanente, ni au titre d’un prêt, directement ou indirectement, jusqu’en septembre 2024 ;
  2. les Clubs ne concluront aucun accord de coopération, aucun accord technique ni aucun accord commercial ; et
  3. les Clubs n’utiliseront aucune base de données commune concernant le recrutement ou les joueurs.

En pratique, cette décision autorise ainsi le Toulouse Football Club, détenu par le fonds d’investissement américain RedBird Capital Partners, tout comme le Milan AC, à participer à L’Europa League au même moment au premier semestre 2024. Il semble donc que l’UEFA souhaite assouplir les règles sur la multipropriété. Si la multipropriété des clubs devient la règle en Europe se poseront nécessairement d'autres et de nombreuses questions sur le plan éthique et droit de la concurrence (contrôle des concentrations notamment).

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Le 25 juillet dernier, l’actuel président de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale française, Eric Coquerel, a interpellé Madame la Ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, sur les effets de la décision rendue par l’UEFA, qui contrevient selon lui au Code du Sport mais aussi au règlement de l’UEFA. Le 26 septembre, la Ministre a répondu à cette question en reconnaissant que l’UEFA a fait une application pragmatique de son article 5 et que la réflexion doit être menée à l’échelle internationale et en commun avec les partenaires européens.

Jean-Baptiste-Guillot

Jean-Baptiste Guillot

Associé

Jean-Baptiste Guillot intervient en fusions-acquisitions, alliances stratégiques, droit commercial, droit des sociétés et des contrats, dans le cadre d'opérations le plus souvent internationales impliquant en particulier des entreprises canadiennes, britanniques et françaises.