Par Nathalie Boudet-Gizardin, associé et Linah Bonneville, stagiaire.

La question du droit à la publicité pour les médecins et établissements de santé est prégnante. Après avoir maintenu, depuis 1947, une interdiction générale et absolue de recourir à "tous procédés directs ou indirects de publicité" pour les professionnels de santé, et notamment pour les médecins, le législateur français leur a reconnu, du bout des lèvres, un droit d’usage de la publicité très encadré, afin de conformer sa réglementation au droit européen.

Le rapport du Conseil d'Etat du 3 mai 2018 (1) avait en effet révélé que les professionnels de santé faisaient face à une distorsion de concurrence. D'une part, certains prestataires de soins non soumis au code de déontologie pouvaient faire de la publicité pour leurs activités (ostéopathes, coachs sportifs, etc.) contrairement aux professionnels de santé qui n’y étaient pas autorisés. D'autre part, certains praticiens salariés ou libéraux profitaient indirectement de la publicité réalisée par les structures dans lesquelles ils exerçaient, elles-mêmes non soumises au code de déontologie.

Ainsi, l'assouplissement des règles de publicité en faveur des professionnels de santé était motivé par la nécessité de corriger cette distorsion de concurrence, outre la nécessité de se conformer à la réglementation européenne. Elle est toutefois inversement proportionnelle à la diminution des droits des centres de santé en matière de publicité.

 

I - Une libéralisation timide de la publicité pour les professionnels de santé

Les six décrets du 22 décembre 2020 (2) ont inversé le principe d'interdiction de la publicité pour les professionnels de santé (chirurgiens-dentistes, pédicures-podologues, infirmières, sage-femmes, médecins et masseurs-kinésithérapeutes) en se conformant au droit européen.

A noter que le terme « publicité » n’est toutefois jamais utilisé, le nouveau texte autorisant simplement la communication libre et honnête d'informations « de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient, relatives notamment à ses compétences et pratiques professionnelles, à son parcours professionnel et aux conditions de son exercice ».

Cette liberté de communication reste toutefois extrêmement encadrée puisque la communication du médecin ne doit pas faire appel à des témoignages de tiers, reposer sur des comparaisons avec d'autres médecins ou établissements et ne pas inciter à un recours inutile à des actes de prévention ou de soins. Elle ne doit pas non plus induire le public en erreur.

Enfin, lorsque le médecin présente son activité sur Internet, il doit redoubler de vigilance et selon les recommandations du Conseil National de l’Ordre des Médecins, notamment :

  • s’interdire toute forme de procédé destiné à obtenir un référencement numérique prioritaire ;
  • s’astreindre à une actualisation régulière de l’information délivrée en ligne ;
  • s’assurer de la fiabilité des sites d’informations et références auxquels il renvoie au travers d’un lien
  • redoubler de vigilance en cas d’intervention sur les réseaux sociaux.

Le médecin doit enfin toujours veiller à l'usage qui est fait de son nom, de sa qualité ou de ses déclarations et ne pas tolérer que les organismes, publics ou privés, où il exerce ou auxquels il prête son concours utilisent à des fins commerciales son nom ou son activité professionnelle, comme le prévoit encore l’article R.4127-20 du code de la santé publique.

 

II - Vers une restriction des droits des centres de santé en matière de publicité

Contrairement aux professionnels de santé, les centres de santé n’étaient pas légalement soumis, jusqu’à l’Ordonnance n° 2018-17 du 12 janvier 2018, à une interdiction de recourir à la publicité, n’étant par nature pas soumis aux obligations déontologiques applicables aux professionnels de santé qu’ils employaient.

Face à la distorsion de concurrence résultant de cette différence de traitement, la Première Chambre Civile de la Cour de cassation a, dans un arrêt de principe du 26 avril 2017 (3), rendu à propos de l’Association pour le développement de l'accès aux soins dentaires Addentis, jugé qu’un centre de santé, régi par les dispositions de l’article L. 6323-1 du code de la santé publique et auquel il incombe de délivrer des informations objectives relatives, notamment, aux prestations de soins dentaires qu’il propose au public, ne peut, sans exercer de concurrence déloyale, recourir à des procédés publicitaires concernant de telles prestations, de nature à favoriser le développement de l’activité des chirurgiens-dentistes qu’il emploie, dès lors que ces derniers sont soumis, en vertu de leur code de déontologie, à l’interdiction d’avoir recours à de tels procédés.

L’Ordonnance du 12 janvier 2018 a conforté cette décision, en venant précisé à l’article L.6323-1-9 du Code de la santé publique consacrée aux centres de santé que « toute forme de publicité en faveur des centres de santé est interdite ».

A la suite de l’arrêt de la Cour de Cassation du 26 avril 2017 et de la publication de l’Ordonnance du 12 janvier 2018, le débat judiciaire s’est toutefois poursuivi. Après avoir été renvoyée devant la Cour d’appel de Paris, l’association Addendis a formé un second pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu  par la Cour d’appel de Paris le 1er juillet 2021.

Dans un arrêt du 8 mars 2023, la Cour de cassation vient de confirmer sa jurisprudence de 2017 (4), en s’appuyant sur la décision rendue par le Conseil constitutionnel n° 2022-998 du 3 juin 2022 qui a estimé que le législateur de 2018, en interdisant la publicité aux centres « a poursuivi un motif d’intérêt général ». En effet, cette interdiction s’appliquant à des structures « qui peuvent être créées et gérées notamment par des organismes à but lucratif » est destinée à ce que les centres « ne mettent [pas] en avant » les conditions de prise en charge des patients. En cela, la loi prévient le risque de développement d’une « pratique intensive de soins contraire » à la mission des centres dentaires ainsi qu’une pratique « de nature à porter atteinte à la qualité des soins dispensés ».

Dans ce contexte vient d’être promulguée une loi du 9 mars 2023 (5) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne. Les centres de chirurgie esthétique faisaient, jusqu’alors,  l'objet d'une interdiction totale de pratiquer la publicité, directe ou indirecte, sous peine de perdre leur autorisation administrative de fonctionnement.

La France a cependant été mise en demeure en 2019 par la Commission européenne de se mettre en conformité avec le droit européen, la CJUE ayant dans un célèbre arrêt « Vanderborght » du 4 mai 2017 jugé qu'une interdiction générale et absolue de publicité était contraire à la directive « sur le commerce électronique » (article 8 § 1 de la Directive n° 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000) et à la libre prestation des services garantie par l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

C’est pourquoi, le nouvel alinéa 4 de l’article L.6322-1 du Code de la santé publique, issu de la loi  du 9 mars 2023, tempère ce principe d’interdiction générale et absolue de recourir à la publicité, en prévoyant que « L'autorisation est retirée si est effectuée, sous quelque forme que ce soit, en faveur de l'établissement titulaire de cette autorisation, une communication commerciale, directe ou indirecte, déloyale, portant atteinte à la santé publique ou qui, par son caractère, sa présentation ou son objet, est susceptible d'inciter les mineurs à recourir aux prestations offertes par l'établissement. »

Dans la lignée de cette lutte contre la publicité croissante portant sur les actes esthétiques, l’Assemblée nationale a voté le 30 mars 2023 la proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, prévoyant l’interdiction pour les « personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique toute promotion, directe ou indirecte, portant atteinte à la protection de la santé publique, des actes, procédés, techniques et méthodes à visée esthétique. »

Il convient toutefois d'attendre la promulgation de cette loi et la publication des décrets d'application afin de pouvoir appréhender pleinement l'étendue de cette nouvelle interdiction.

 

---

 

1 - CONSEIL D’ÉTAT - Règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité Étude adoptée par l’assemblée générale plénière le 3 mai 2018

2 - Décret n° 2020-1658 pour les chirurgiens-dentistes, décret n° 2020-1659 pour les pédicures-podologues, décret n° 2020-1660 pour les infirmiers, décret n° 2020-1661 pour les sage-femmes, décret n° 2020-1662 pour les médecins, décret n° 2020-1663 pour les masseurs-kinésithérapeutes.

3 - Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 26 avril 2017, 16-14.036 16-15.278

4 - Cour de cassation - Première chambre civile, 8 mars 2023 / n° 21-23.234

5 - N° 2023-171

Portraits GINESTIÉ MAGELLAN PALEY-VINCENT 2021

Nathalie Boudet-Gizardin

Associée

Experte en Droit de la santé et des professions réglementées (conseil et contentieux), elle intervient dans différents domaines : structuration de l’activité des professionnels de santé, conseil sur les aspects réglementaires et déontologiques de leur activité, défense des acteurs de la santé dans des contentieux complexes, corporate santé, contentieux civils et disciplinaires des professions réglementées.