Article publié dans Option Finance, le lundi 13 novembre et reproduit avec l’aimable autorisation de Valérie Nau, rédactrice en chef

Par Philippe Jouvet, associé.

 

Environnement règlementaire post Egalim 3 : comment ne plus subir l’incertitude juridique ?

Alors que le gouvernement a d’ores et déjà annoncé une loi de simplification « Egalim 4 », les acteurs concernés peinent toujours à digérer les réformes des relations industrie-commerce qui s’accélèrent depuis 2018.
Il est pourtant possible de tirer parti de cet enchevêtrement réglementaire. Illustration sur 3 sujets brûlants : pénalités logistiques, anticipation des accords et nouvelle certification amont du tiers indépendant.

 

L’actualité n’en finit pas dans le domaine des relations entre fournisseurs et grande distribution :

  • 21 septembre : publication des nouvelles lignes directrices de la DGCCRF sur les pénalités logistiques ;
  • fin octobre : publication (restreinte) du nouvel avis de la compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) sur les attestations liées à la transparence tarifaire EGALIM ;
  • début novembre : adoption du projet de loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation.

Olivia Grégoire, Ministre déléguée aux PME et au Commerce, a en outre confirmé la constitution prochaine d’une mission gouvernementale associant des parlementaires afin de simplifier les règles de Titre IV du Code de commerce qui subissent une refonte à un rythme annuel depuis 15 ans et voir quasi semestriel depuis 2018.

Quels seront les chantiers de cette simplification ? Va-t-on assister à la disparition de la date butoir pour les négociations commerciales annuelles, légalement fixée au 1er mars et ramenée exceptionnellement au 31 janvier (ou 15 janvier pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 350 millions d’euros) pour l’année 2024 ? Est-que le principe de libre négociabilité introduit en 2008 avec la loi LME, qui devrait aller de pair avec une vraie politique de sanction des abus, va enfin être consacré ?

En attendant le chantier de simplification qui devrait s’échelonner jusqu’au printemps 2024, il faut composer avec l’existant et tenter d’utiliser à son avantage le labyrinthe réglementaire.

 

Pénalités logistiques : optimiser la règle du plafond de 2% en jouant sur la notion de catégorie

La Foire aux questions valant lignes directrices actualisée en matière de pénalités logistiques, publiée le 21 septembre 2023 devait apporter des précisions très attendues sur les modalités de prise en compte de la règle de plafond des pénalités infligées par les distributeurs « à 2 % de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l'inexécution d'engagements contractuels a été constatée » selon l’article L.441-17 du Code de commerce.

La notion de « catégorie » de produits est notamment explicitée. Cette explication de texte était attendue tant elle a un impact important sur les sommes qui devront être payées par les fournisseurs au titre des pénalités : ces derniers souhaitent que la catégorie colle le plus possible au code EAN du produit là où leurs clients voient beaucoup plus larges (l’ensemble des produits vendus par le fournisseur). Pour l’Administration, sont regroupés dans une catégorie les produits « suffisamment homogènes ». Illustration donnée par la FAQ : au sein des produits laitiers, le yaourt et le beurre sont deux catégories de produits différentes.

La DGCCRF, sans trouver la recette miracle, donne des pistes pour que les acteurs retravaillent pertinemment leurs documents contractuels (CGV et convention logistique notamment).

L’homogénéité est une notion connue en droit de la concurrence pour définir les marchés pertinents. Il est alors intéressant pour un fournisseur de construire sa catégorie selon les caractéristiques du produit ou les préférences du consommateur et de la défendre auprès de son client afin d’arriver à une catégorie qui fait sens dans le but de plafonner les pénalités logistiques.

Rappelons cependant que ces pénalités doivent, quelle que soit la définition de catégorie de produits retenue, être justifiées à l’appui de preuves documentaires démontrant le préjudice subi par le client.

Avancée de la date butoir au 15 ou au 31 janvier 2024 : anticiper l’anticipation légale

La loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation [1] a pour objectif revendiqué de faire baisser au plus vite les prix des produits de grande consommation, notamment alimentaires, dans les rayons des grandes surfaces.

Le but est de permettre aux acheteurs de négocier plus tôt le tarif du fournisseur et de profiter de la baisse des intrants observée durant l’année 2023 tout en la répercutant aux consommateurs ; le nouveau prix convenu étant théoriquement aujourd’hui applicable dès le 16 janvier ou le 1er février et non à partir du 1er mars comme c’est habituellement la règle.

Première remarque : pour les fournisseurs de produits dont le coût des intrants n’a pas baissé, la nouvelle loi constitue l’opportunité de faire passer une hausse de tarif anticipée et salutaire et de gérer au mieux l’éventuelle pénurie sur les volumes qu’ils peuvent subir. Quand l’enjeu ultime est d’éviter l’arrêt des livraisons car le prix négocié en mars 2023 est trop bas pour continuer de vendre, avoir un mois d’avance sur sa négociation n’est pas un luxe.

Deuxième remarque : l’avancée de la date butoir pour 2024 (et seulement 2024 au regard du texte de loi) devrait théoriquement voir un prix convenu s’appliquer du 16 janvier (ou 1er février) jusqu’au 1er mars 2025 (puisqu’à droit constant, on devrait revenir à la date butoir initiale du 1er mars). Au vu de cette longue période, les fournisseurs doivent de façon urgente réfléchir aux possibilités laissées par la réglementation de modifier leur tarif en cours d’année : clause de revoyure, clause d’indexation automatique, nouveau tarif adopté en cours d’année etc.

On sait que pour les clauses de renégociation (article 441-8 du Code de commerce) et les clauses d’indexation (article L.443-8 du Code de commerce), les acteurs dans le domaine agro-alimentaire ont pour l’heure plutôt tenté de neutraliser leur mise en œuvre que d’utiliser leur potentiel.

 

Certification du tiers indépendant dans le cadre de l’option 3 : profiter du nouvel avis de la CNCC

On se situe là au cœur des complexités créées par les différentes lois Egalim qui avaient pour objectif de sanctuariser la part de la matière première agricole dans le tarif et donc de protéger les producteurs agricoles. La loi Egalim 2 d’octobre 2021 avait à cet effet prévu trois options de transparence tarifaire, reproduites obligatoirement dans les CGV en cas de vente d’un produit alimentaire.

La loi Descrozaille du 30 mars 2023 souvent appelée à tort « Egalim 3 » (ses dispositions visent en effet l’ensemble des produits de grande consommation et pas seulement les produits alimentaires) prévoit, pour l’option 3, deux interventions obligatoires du tiers indépendant :

- la première, antérieure aux négociations, pour attester la part de l’évolution du tarif du fournisseur qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles :« attestation ex ante » ;

- la seconde, au terme des négociations, pour attester que lesdites négociations n’ont pas porté sur la part de l’évolution du tarif du fournisseur qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles, dite pour les besoins de cet avis technique : « attestation ex post ».

Au soutien de ces deux attestations se trouve la fameuse note méthodologique décrivant la procédure mise en place par le fournisseur pour déterminer l’évolution du tarif fournisseur du produit et la part de cette évolution résultant de celle du prix des matières premières agricoles en N comparé à N-1 (l’année précédente).

Cette note est rédigée par le fournisseur avant transmission au tiers indépendant. En amont de la négociation, elle est une véritable opportunité de bâtir un tarif qui résistera à la pression de négociation par l’acheteur.

En effet, dans le calcul du prix des matières premières agricoles ou dans l’évaluation de l’impact de ce prix dans le tarif, la note méthodologique peut laisser une certaine marge d’appréciation sur les hypothèses retenues, qui pourra être validée par le tiers indépendant, donnant ainsi plus de poids aux arguments utilisés lors de la construction du tarif.

Il est dès lors recommandé de coconstruire avec le tiers indépendant (souvent le commissaire aux comptes) la note méthodologique. Ce dernier pourra valider des hypothèses, même les plus audacieuses, dans la mesure où le modus operandi détaillé dans l’avis de la CNCC est respecté.

Cette dernière illustration démontre à quel point les acteurs ont intérêt à embrasser plutôt qu’à subir la complexité née des dernières lois votées en matière de relations industrie-commerce. Les personnes au cœur des négociations commerciales, équipe de vente du fournisseur et acheteurs de la grande distribution, ont d’ailleurs appris à consolider l’ensemble des réformes intervenues et ont souvent développé des compétences juridiques en plus de leurs compétences propres.

Les changements législatifs continuels invitent aussi à imaginer de nouvelles solutions d’automatisation contractuelle pour harmoniser et sécuriser le contenu des différents documents.

[1] Nous écrivons cet article avant le vote définitif et la promulgation qui devrait intervenir durant la semaine du 6 novembre 2023.

PHILIPPE J

Philippe Jouvet

Associé

Avocat specialise en droit de la concurrence, distribution et consommation, philippe jouvet est un expert du secteur agricole et agro-alimentaire.

Avant de rejoindre Ginestié Paley-Vincent en qualité d’associé, Philippe Jouvet était Responsable juridique concurrence, distribution et consommation au sein de la coopérative TEREOS au sein de laquelle il a mis en œuvre le dispositif prévu par la Loi EGALIM.