Article publié dans Option Droit & Affaires, le mercredi 18 octobre et reproduit avec l’aimable autorisation de Sahra Saoudi, rédactrice en chef

Par Philippe Jouvet, associé.

Pénalités logistiques : la DGCCRF publie une version actualisée très attendue de ses lignes directrices

Le 21 septembre dernier, la DGCCRF a publié sa Foire aux questions portant sur les lignes directrices en matière de pénalités logistiques qui tranchent d’importantes questions posées par les fournisseurs et les distributeurs depuis l’arsenal législatif développé par les deux dernières lois EGALIM : notion de catégorie de produits, plafond des 2%, retard de livraison, prescription annuelle, déduction d’office…

On se souvient que les abus observés pendant la crise sanitaire avaient conduit le législateur (Loi « Egalim 2 » du 18 octobre 2021) à créer une nouvelle pratique restrictive de concurrence permettant de mieux encadrer les pratiques visant à pénaliser les fournisseurs lors de retard de livraison chez les distributeurs.

La loi Descrozaille dite « Egalim 3 » du 30 mars 2023 avait encore considérablement étoffé le dispositif de l’article L.441-17 du Code de commerce si bien que les précédentes lignes directrices publiées par l’Administration le 11 juillet 2022 paraissaient obsolètes.

D’où l’attente autour de ces nouvelles lignes directrices qui constituent la doctrine de l’Administration dans une matière qui impacte directement le compte d’exploitation des fournisseurs et dont le traitement en interne mobilise un nombre croissant de collaborateurs.

La nouvelle FAQ précise tout d’abord utilement ce que le terme « pénalités logistiques » peut recouvrir (sanctions, indemnités ou pénalités concernant l’inexécution par le fournisseur de certains de ses engagements de nature logistique) en fournissant une illustration nouvelle : la facturation par les clients distributeurs de la mise en conformité de palettes, pratique observée ces derniers mois sous le vocable « surcoûts logistiques » est bien visée par le dispositif de l’article L.441-17 du Code de commerce.

Notion de catégorie de produits et plafond des 2% : la fin d’un faux suspens

Depuis l’adoption de la loi Descrozaille, c’était le sujet le plus attendu par les fournisseurs qui espéraient encore que la règle de plafond (s’agissant du montant maximum des pénalités logistiques facturé par les distributeurs) de 2% de la valeur des produits commandés s’entendaient comme la valeur des produits manquants à la livraison.

La DGCCRF tranche en leur défaveur et précise que c’est l’ensemble des produits de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution d’engagements contractuels a été constatée qui est concerné : « si 200 yaourts sur les 1000 commandés ne sont pas livrés, c’est bien la valeur des 1000 qui constituera l’assiette du plafond de 2% » (et non la valeur de 200 yaourts si on entendait la valeur des produits manquants).

La notion de « catégorie » de produits est aussi explicitée et rejoint un certain bon sens : sont regroupés dans une catégorie les produits suffisamment homogènes : ainsi au sein des produits laitiers, le yaourt et le beurre sont deux catégories de produits différentes.

Précision importante apportée : le plafond de 2% doit être calculé pour chaque commande de produits de la catégorie et non sur une base annuelle. Une façon d’éviter que l’assiette du plafond s’envole avec l’ensemble des produits commandés sur l’année. Pour reprendre l’exemple ci-dessus, si un distributeur fait 10 commandes de 1000 yaourts pendant l’année, c’est la valeur de 1000 qui servira d’assiette et non 10 000. Une façon pour l’Administration de rééquilibrer les règles de calcul d’assiette qui étaient trop défavorables aux fournisseurs.

Déduction d’office : le rappel aux conditions du Code civil

Conformément à l’article 1347-1 du Code civil, une « compensation n'a lieu qu'entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles ». Les lignes directrices ne font ici que rappeler l’état du droit qui vise à interdire les déductions d’office pratiquées parfois par les clients distributeurs et qui consistent à déduire du montant de la facture due au fournisseur la somme correspondant à des pénalités logistiques. Si le fournisseur a contesté l’avis de pénalité (il dispose d’un mois au minimum à partir de l’envoi de l’avis pour le faire), alors il n’est pas possible pour le distributeur de compenser la créance.

Respecter le jour de livraison : oui mais pas à l’heure près !

« L'heure, c'est l'heure ; avant l'heure, c'est pas l'heure ; après l'heure, c'est plus l'heure », l’expression de Jules Jouy a fait florès sauf pour l’Administration pour qui « un retard de livraison de quelques heures qui aboutirait à ce que la livraison ait bien lieu le jour convenu ne saurait justifier un refus ou un retour de marchandises de la part du distributeur ».

Ce n’est donc pas l’heure mais bien le jour de livraison qui compte.

Un tempérament toutefois apporté par les lignes directrices : il est précisé que la livraison qui interviendrait le jour prévu mais « au-delà de l’heure de fermeture de la plateforme logistique » doit être considérée comme équivalente au non-respect du jour de livraison.

Prescription d’un an des pénalités infligées : c’est la facture et non l’avis de pénalités qui compte

Les lignes directrices se penchent sur la sémantique du verbe « infliger ». S’agissant de l’inexécution d’engagement contractuel survenue plus d’un an auparavant, la date à prendre en considération pour le calcul du délai de la prescription annuelle est celle de l’envoi de la facture et non celle de l’avis préalable de pénalité. Encore faut-il que la facture de pénalités soit éditée en bonne et due forme et à la bonne date. L’Administration a trouvé la solution avec un système de contrôle par les acteurs eux-mêmes.

Modalités de transmission des données relatives aux pénalités logistiques à l’Administration

Ce système de contrôle que prévoyait la loi Descrozaille (article L.441-19 du Code de commerce) est explicité par les lignes directrices. Le fournisseur doit communiquer à la DGCCRF au plus tard le 31 décembre de chaque année les montants des pénalités logistiques qui lui ont été infligées (factures de pénalités reçues) par ses distributeurs au cours des douze derniers mois ainsi que ceux qu'il a effectivement versés (pénalités réglées par le fournisseur). Ces données doivent être détaillées mois par mois et enseigne par enseigne. Similairement le distributeur devra communiquer les montants effectivement facturés et encaissés afin que l’Administration puisse effectuer ses contrôles. Pour rappel, ces modalités de communication qui peuvent être assez lourdes (alors qu’il était attendu plus de simplicité dans ce domaine) peuvent entraîner des sanctions conséquentes (500 000 euros) si elles ne sont pas respectées.

Au final, les lignes directrices apportent quelques précisions importantes dans le quotidien de la gestion des pénalités logistiques mais la complexité demeure. C’est la contractualisation en amont avec la négociation de contrats logistiques qui permettra aux acteurs d’avoir plus de sécurité sur les montants versés (ou reçus) au titre des pénalités logistiques. Pour rappel, ces conventions logistiques doivent être aujourd’hui distinctes de la convention annuelle obligatoire qui récapitule le résultat de la négociation commerciale.

Les acteurs (distributeurs et fournisseurs) doivent donc être attentifs autant à la négociation du tarif et prix convenu qu’aux clauses des conventions logistiques qui doivent être en conformité avec les dispositions de l’article L.441-17 du Code de commerce, explicitées par la nouvelle version des lignes directrices.

PHILIPPE J

Philippe Jouvet

Associé

Avocat specialise en droit de la concurrence, distribution et consommation, philippe jouvet est un expert du secteur agricole et agro-alimentaire.

Avant de rejoindre Ginestié Magellan Paley-Vincent en qualité d’associé, Philippe Jouvet était Responsable juridique concurrence, distribution et consommation au sein de la coopérative TEREOS au sein de laquelle il a mis en œuvre le dispositif prévu par la Loi EGALIM.