Loi de finances pour 2022

Par Carine Duchemin, Associée et Line Poberznick, stagiaire

La loi de finances pour 2022, publiée au JO du 31 décembre 2021, dans un contexte préélectoral, ne comprend pas de mesures exceptionnelles et se contente pour l’essentiel d’aménager un certain nombre de dispositifs, tant en matière de fiscalité personnelle que professionnelle. 

Néanmoins, quatre mesures fiscales ont retenu notre attention

  • L'instauration d’un régime temporaire d’amortissement des fonds commerciaux 
  • L’aménagement du régime des cessions d’actifs numériques 
  • L’option pour les entrepreneurs individuels de s’assimiler à une EURL, ou à une EARL, et en conséquent, d’être soumis à l’impôt sur les sociétés, et
  • En matière de TVA, la mise en conformité de l’article 269, 2-a du CGI avec le droit de l’Union Européenne.

POSSIBILITÉ DE DÉDUIRE FISCALEMENT LES AMORTISSEMENTS DES FONDS COMMERCIAUX ACQUIS

Les amortissements des fonds commerciaux acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025, pourront être déduits fiscalement

Composant du fonds de commerce, le fonds commercial est, selon le Plan Comptable Général, principalement composé de la clientèle, de l’enseigne, du nom commercial et des parts de marchés (article 212-3 PCG). Il est présumé avoir une durée d’utilisation illimitée, mais cette présomption peut être renversée dès lors qu’il existe une limite prévisible à son exploitation. 

La mesure s’applique aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés ainsi qu’aux entreprises relevant de l’impôt sur le revenu suivant le régime réel et dont les résultats relèvent des BIC, dès lors qu’elles sont tenues de respecter les règles du PCG. Les artisans ne sont pas concernés par cette mesure, de même que les professions libérales.

Les modalités d’acquisition du fonds commercial sont, à priori, indifférentes. En effet, la notion d’acquisition devrait s’entendre au sens large, que ce soit une acquisition à titre onéreux ou par un apport. 

Tous les fonds commerciaux amortis en comptabilité peuvent bénéficier de cette déduction fiscale. Sont donc déductibles les amortissements échelonnés sur 10 ansdes fonds commerciaux acquis par les petites entreprise (sans nécessité de justifier d’une durée limitée d’exploitation), de même que les amortissements pratiqués par toute entreprise, quelle que soit sa taille, dès lors qu’elle justifie d’une limite prévisible à l’exploitation du fonds (par exemple, fonds commercial adossé à un contrat ou à une autorisation légale ayant une durée limitée). La durée d’amortissement du fonds devra alors correspondre à la durée prévue pour son exploitation. 

Par ailleurs, dans le cas où le fonds commercial amorti fait l’objet d’une provision pour dépréciation.

Cette provision est rapportée au résultat, de manière échelonnée, sur la durée d’amortissement restant à courir pour un montant égal à la différence entre : 

  • L'amortissement qui aurait été pratiqué si la provision n’avait pas été comptabilisée
  • L’amortissement effectivement comptabilisé à la clôture de l’exercice 

Par conséquent, en pratique, la déduction fiscale du coût de revient total du fonds commercial ne pourra être assurée que par la constatation d’amortissements dérogatoires. Le montant de la provision pour amortissement dérogatoire à comptabiliser serait égal à la réintégration fiscale pratiquée au titre de la provision pour dépréciation à la clôture de chaque exercice.

AMÉNAGEMENT DU RÉGIME D’IMPOSITION DES CESSIONS D’ACTIFS NUMÉRIQUES

Deux régimes d’impositions des cessions d’actifs numériques seront possibles pour les gains réalisés dès le 1er janvier 2023.

Les particuliers qui réalisent des opérations à titre occasionnel dans le cadre de la gestion de leur patrimoine auront le choix entre l’imposition de leurs gains à la « flat tax » de 30% (soit 12.8% d’impôt sur la plus-value et 17.2% de contributions sociales), et une option pour l’imposition au barème progressif. En cas d’option, toutes les plus-values de cession d’actifs numériques du foyer fiscal seront prises en compte dans le revenu net global (article 200 du CGI).

Les particuliers qui exercent de manière professionnelle une activité d'achat et de vente d’actifs numériques seront désormais imposés selon le régime des BNC, et non plus des BIC. Le caractère professionnel ne résultera plus seulement du caractère « habituel » de cette activité d’achat-revente, mais des moyens mis en œuvre pour cette activité. Ainsi, pourraient être concernés, les contribuables bénéficiant de frais de transaction préférentiels compte-tenu de leurs volumes de transactions, ceux qui recourent à des outils professionnels ou à des pratiques de trading complexes.

POSSIBILITÉ POUR LES ENTREPRENEURS INDIVIDUELS D’OPTER POUR L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS

La loi de finances prévoit les conséquences fiscales du nouveau statut unique de l’entrepreneur individuel. Dès l’entrée en vigueur de ce statut, l’entrepreneur individuel pourra opter pour l’assimilation à l’EURL (ou à l’EARL), et ainsi opter pour l’impôt sur les sociétés.

Le nouvel alinéa de l’article 1655 sexies du CGI dispose de cette option irrévocable, dont les modalités seront précisées par décret. Cette option permettra aux entrepreneurs individuels exerçant une activité imposable dans la catégorie des BIC, BNC ou BA, relevant de plein droit ou sur option d’un régime réel d’imposition, d’opter pour leur assimilation sur le plan fiscal à une EURL ou une EARL

L’entrepreneur individuel sera imposé selon le régime de l’impôt sur les sociétés. Les dispositions relatives à l’impôt sur les sociétés lui seront applicables, cependant, il sera dispensé des formalités d’enregistrement prévues aux articles 635, 1-5° et 638 A du CGI en cas de formation ou de transformation de société ou d’augmentation de capital. 

L’exercice de cette option devrait avoir pour effet d’entraîner les conséquences d’une cessation d’entreprise. Lorsque l’option sera exercée, les biens du patrimoine privé seront transférés au patrimoine professionnel selon l’article 151 sexies du CGI. Ce transfert bénéficiera du régime des biens migrants qui permet de reporter l’imposition des plus-values jusqu’à la cession du bien. 

Ainsi, lors de la cession, deux plus-values seront à déterminer : 

  • Une plus-value professionnelle correspondant à la plus-value acquise du bien entre son affectation au patrimoine professionnel et sa cession 
  • Une plus-value privée correspondant au montant de la plus-value acquise par le bien pendant la période d’appartenance au patrimoine privé de l’entrepreneur

Par ailleurs, le retrait d’un actif du patrimoine professionnel, et son transfert dans le patrimoine personnel génère une plus ou moins-value qui sera taxable selon le régime du droit commun des plus-values professionnelles. 

L’assujettissement à l’impôt sur les sociétés résulte de l’article 1655 sexies, 3 du CGI. Cette option est révocable jusqu'au cinquième exercice suivant. En revanche, une fois révoquée, il sera impossible d’opter à nouveau. Également, une renonciation est considérée comme un cas de cessation d’entreprise.

En pratique,cette option présente un intérêt pour les entrepreneurs dont le taux moyen d’impôt sur le revenu excède celui de l’IS (soit 15% à hauteur de 38 120€ et 25% au-delà). L’assujettissement à l’IS permet également la déduction des salaires versés à l’entrepreneur et leur imposition selon les règles des traitements et salaires.

Les bénéfices réinvestis dans l’entreprise ne seront plus imposés entre les mains de l’entrepreneur, mais ceux qui lui seront « distribués » seront traités comme des dividendes. Ils seront donc taxés à la fois à l’IS et à l’impôt sur les revenus. Notons au passage que ces dividendes entreront dans l’assiette de ses cotisations et contributions sociales personnelles pour leur fraction excédant 10% du montant du bénéfice net imposable (néanmoins, cela ne concernera pas les travailleurs indépendants relevant du régime micro-social).

Ce dispositif entrera en vigueur au même moment que le nouvel article L. 526-22 du Code de commerce qui fixe le statut unique de l’entrepreneur individuel.

MISE EN CONFORMITÉ DE L’ARTICLE 269, 2-A DU CGI AVEC LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE

Le législateur français tire les conséquences de la jurisprudence de la cour administrative d’appel de Nantes et adapte l’article 269, 2-a du CGI, concernant l’exigibilité de la TVA d’un acompte, pour le mettre en conformité avec le droit de l’UE.

Dans le cadre d’une livraison de biens, la TVA est exigible au moment de la livraison de celui-ci. Cette disposition n’est pas modifiée. 

Cependant, en accord avec l’arrêt de la CAA de Nantes du 28 mai 2021 (n° 19NT03579), lorsqu’un acompte est versé en amont de la livraison du bien, la TVA sera exigible au moment de l’encaissement de celui-ci et à concurrence de son montant. En effet, cet arrêt avait affirmé que les dispositions de l’article 269, 2-a du CGI étaient incompatibles avec les objectifs fixés par l’article 65 de la directive européenne TVA.

Cette mesure permettra aux entreprises versant des acomptes de déduire plus tôt la TVA sur leurs achats et d’éviter d’avoir à supporter une charge de trésorerie.

Cette nouvelle disposition ne modifie pas le régime particulier relatif à l’exigibilité de la TVA concernant certaines livraisons de biens listées à l’article 209 du CGI et pour lesquelles des règles particulières sont prévues (livraison électricité, gaz, livraisons à soi-même d’immeubles neufs ou de travaux immobiliers, etc.).

Enfin, cette disposition sera applicable aux acomptes encaissés à compter du 1er janvier 2023. 

Carine-Duchemin

Carine Duchemin

Associée

Au sein du département Fiscal, Carine Duchemin intervient en fusion-acquisition, en restructuration d’entreprises et de groupes. Elle a une activité internationale importante comme conseil de groupes internationaux, notamment dans le domaine de l’hôtellerie. Carine Duchemin assiste également les entreprises et leurs dirigeants dans le cadre de contrôles et de contentieux fiscaux.