Le fait religieux en entreprise

Par Jean-Baptiste Vienne, associé

Cas d’espèce après cas d’espèce, la Cour de cassation poursuit la construction de sa jurisprudence sur le fait religieux en entreprise initialement (souvent) limité à la problématique du port ostensible de signe d’appartenance à une religion.

Les difficultés sont en réalité beaucoup plus variées et le sujet de plus en plus récurrent.

Ainsi, si l’on s’en tient aux chiffres du Baromètre du fait religieux en entreprise pour les années 2020-2021 : 

  • 66,5 % des interrogés rencontrent des faits religieux dans leur environnement professionnel, 
  • une intervention managériale est rendue nécessaire dans 54 % des cas.

Et si 70 % des comportements des salariés pratiquants sont perçus comme peu perturbateurs et ne gênent pas la bonne réalisation du travail, l’inverse n’est pas vrai pour les 30 % restants.

Il en est ainsi des faits ayant conduit à l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 19 janvier dernier (n°20-14.014).

Employé en qualité de chef d’équipe dans une entreprise de nettoyage, soumis à une clause de mobilité, le salarié refusera une première fois sa mutation sur un nouveau site.

Il refusera une nouvelle mutation, d’abord en raison des horaires de travail imposés puis, une fois ceux-ci modifiés par l’employeur, pour des raisons religieuses, sa nouvelle affectation l’amenant à travailler dans un cimetière, ce qui lui était interdit par la religion hindouiste.

Après s’être vu notifier sa mutation disciplinaire sur un troisième site, mutation qu’il refusera à nouveau, le salarié sera finalement licencié.

Par un arrêt du 17 octobre 2019, la Cour d’appel de Paris annulera la mutation sanction et par répercussion prononcera la nullité du licenciement au motif qu’il appartenait à l’employeur « de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer au salarié un poste de travail compatible avec les exigences de chacune des parties, qu’or l’employeur n’a pas fait cette démarche alors qu’il disposait d’un poste susceptible de recevoir l’affectation du salarié puisqu’il l’y a muté disciplinairement ».

Le raisonnement est défendable mais a été censuré par la Cour de cassation laquelle, après avoir rappelé que les restrictions à la liberté religieuse doivent être : 

  • justifiées par la nature de la tâche à accomplir, 
  • proportionnées au but recherché, 
  • répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause,

considèrera que la mutation sanction infligée au salarié remplissait ces différents critères compte-tenu des conditions d’exercice de l’activité du salarié, chef d’équipe dans le secteur de la propreté, qui avait été affecté sur un site pour exécuter ses tâches contractuelles en application d’une clause de mobilité légitimement mise en œuvre par l’employeur et que celle-ci était proportionnée au but recherché puisqu’elle permettait le maintien de la relation de travail par l’affectation du salarié sur un autre site de nettoyage. 

La Cour de cassation adopte donc ici une position très rigide en limitant son appréciation à la nature et aux conditions d’exercice de l’activité du salarié ainsi qu’à la proportionnalité de la mesure prise, ceci à l’exclusion de toutes autres considérations.

Il s’agit manifestement là d’une décision de principe qui guidera la lecture que devront avoir les juges du fond mais qui interroge tout de même la notion d’exécution loyale du contrat de travail sous-entendue dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.

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Jean-Baptiste Vienne

Associé

Il assiste en conseil et en contentieux, une clientèle d’entreprises françaises et internationales.

Il a développé une expérience particulière dans le domaine des contentieux, tant individuels que collectifs, notamment en matière de discrimination, égalité de traitement, de risques psycho-sociaux et de sécurité au travail. Il assure régulièrement la défense de dirigeants et chefs d’entreprises devant les juridictions correctionnelles.