Par Nathalie Boudet-Gizardin, counsel et Charlotte Denis, stagiaire du département Santé

Le décret n°2022-381 du 16 mars 2022,publié au JO le 18 mars 2022, réforme en profondeur la procédure disciplinaire devant l’Ordre des pharmaciens et la rapproche de celles applicables aux autres juridictions des Ordres des professions de santé. 

Cette réforme modifie substantiellement les articles R. 4234-1 et suivants du code de la santé publique. Elle entrera en vigueur au 1er septembre 2022 pour les plaintes et requêtes enregistrées devant le greffe de la chambre de discipline de première instance ou de la chambre de discipline nationale à compter de cette date, sauf exception.

Revenons brièvement sur les principales évolutions qu’elle introduit.

L’élargissement des acteurs pouvant introduire une action disciplinaire devant l’Ordre des pharmaciens 

Le décret élargit le champ des personnes pouvant introduire une action disciplinaire à l’encontre d’un pharmacien ou d’une personne morale inscrite au Tableau de l’Ordre des pharmaciens. 

Jusqu’à présent, ne pouvaient introduire une telle action que : 

  • le ministre chargé de la santé, 
  • le ministre chargé de la sécurité sociale, 
  • le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ou le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail pour les pharmaciens des établissements relevant de leurs contrôles respectifs, 
  • le directeur général de l'agence régionale de santé, 
  • le procureur de la République,
  • le président du Conseil national, d'un conseil central ou d'un conseil régional de l'Ordre des pharmaciens,
  •  un pharmacien inscrit à l'un des tableaux de l'Ordre
  •  un particulier.

A compter du 1er septembre 2022, à cette liste s’ajoutent : 

  • les présidents des délégations d'outre-mer ;
  • le ministre chargé de l’économie,
  • le ministre chargé du budget,
  • le ministre chargé de l'agriculture,
  • le préfet du département, 
  • les médecins-conseils chefs ou responsables du service du contrôle médical placé auprès d'une caisse ou d'un organisme de sécurité sociale, 
  • les directeurs d'organisme local d'assurance maladie obligatoire, 
  • un syndicat ou une association de pharmaciens, 
  • les associations de défense des droits des patients, des usagers du système de santé ou des personnes en situation de précarité.

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La possibilité de déposer des plaintes et requêtes d’appel par voie dématérialisée

A compter du 1er septembre 2022, les plaintes et requêtes d’appel pourront être déposées ou adressées, par tout moyen, y compris dématérialisé, au président du conseil central ou régional compétent. 

Puis, le président du conseil central ou régional devra en accuser réception à l'auteur et en adresser copie au pharmacien mis en cause dans les quinze jours. Enfin, il transmet, sans délai, la plainte au greffe de la chambre de disciplinaire compétente, sauf lorsque la plainte émane d’un syndicat, d’une association de pharmaciens, d’un pharmacien ou d’une personne morale inscrite au tableau de l'ordre, ou encore d’un particulier, d’associations de défense des droits des patients, des usagers du système de santé ou des personnes en situation de précarité, auquel cas une procédure de conciliation doit obligatoirement être mise en œuvre .

Les nouvelles prérogatives des Présidents des chambres de discipline

Le décret du 16 mars 2022 octroie de nouvelles prérogatives en matière de contentieux disciplinaire aux Présidents des chambres de discipline, exposées à l’article R.4234-3 I du code de la santé publique, dans sa nouvelle numérotation.

A compter du 1er septembre 2022, les présidents de la chambre de discipline de première instance et de la chambre de discipline nationale peuvent, par ordonnance motivée, sans instruction préalable : 

« Statuer sur les affaires relevant d'une série qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit, pour la juridiction saisie, des questions identiques à celles qu'elle a déjà tranchées ensemble par une même décision devenue irrévocable, à celles tranchées ensemble par une même décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux et, pour les chambres de discipline de première instance, à celles tranchées ensemble par une même décision devenue irrévocable de la chambre de discipline nationale. »

Le décret du 16 mars 2022 consacre ainsi la possibilité pour les Présidents des juridictions disciplinaires de l’Ordre des pharmaciens de prendre des ordonnances de séries, comme le prévoit depuis 2016 l’article R.222-1 du Code de justice administrative pour les juges administratifs.

Il faut entendre par séries : « Les multiples recours formés contre une même réglementation par une pluralité de justiciables se trouvant dans des situations similaires et agissant en ordre dispersé » (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 12e éd., 2006, p. 905).

Autre ajout figurant à l’article R.4234-3 III, le Président de la chambre de discipline nationale peut désormais :

  • rejeter par ordonnance les requêtes dirigées contre les ordonnances motivées prises sans instruction préalable par le Président de la chambre de discipline de première instance, 
  • annuler par ordonnance une précédente ordonnance motivée prise sans instruction préalable, à condition de régler l’affaire au fond. 

La possibilité pour les chambres de discipline de rendre des décisions en formation collégiale restreinte

Sur le modèle de la procédure disciplinaire devant l’Ordre des médecins, il est désormais prévue à l’article R. 4234-4 du code de la santé publique la possibilité pour le Président de la chambre de discipline de première instance de réunir la chambre en formation restreinte, s’il estime que le litige le justifie, ou au contraire, de renvoyer à la formation plénière une affaire examinée par la formation restreinte. 

La Chambre de discipline nationale peut, quant à elle, se réunir en formation restreinte, pour tout litige lorsque la requête d’appel est manifestement dépourvue de fondement ou pour examiner des appels sur les décisions rendues en formation restreinte. 

L’encadrement de la procédure dans des délais stricts

Nouvel alignement sur la procédure disciplinaire devant l’Ordre des médecins, la chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre des pharmaciens dispose désormais d’un délai de 6 mois pour statuer, à compter de la date de réception du dossier complet de la plainte ou de la requête. 

A titre transitoire, ce délai de jugement est toutefois fixé à un an pour les plaintes enregistrées entre le 1er septembre 2022 et le 1er septembre 2024.

L’article R.4234-11 du code de la santé publique ajoute qu’ « A l'expiration de ce délai (6 mois), toute partie peut demander au président de la chambre disciplinaire nationale de transmettre le dossier à une autre chambre disciplinaire. Cette demande n'a pas pour effet de dessaisir la chambre disciplinaire de première instance initialement saisie

Lorsque des considérations de bonne administration de la justice le justifient, le président de la chambre disciplinaire nationale peut attribuer l'affaire à une chambre qu'il désigne ».

Des précisions sur les voies de recours 

Face au mutisme du code de la santé publique concernant les voies de recours existantes contre une décision rendue par les chambres de disciplines de l’Ordre des pharmaciens, le décret du 16 mars 2022 introduit de toutes nouvelles dispositions dans une section 6 intitulée « Voie de recours » relatives notamment à l’opposition, au recours en rectification d’erreur matérielle, au recours en révision ainsi qu’au relèvement d'une décision de radiation ou d'interdiction définitive.

Un rapprochement bienvenu de cette procédure avec celles applicables aux juridictions des autres Ordres des professions de santé, garantissant aux justiciables et aux praticiens mis en cause une meilleure lisibilité du fonctionnement de cette juridiction spécialisée.

Portraits GINESTIÉ MAGELLAN PALEY-VINCENT 2021

Nathalie Boudet-Gizardin

Counsel

Experte en Droit de la santé et des professions réglementées (conseil et contentieux), elle intervient dans différents domaines : structuration de l’activité des professionnels de santé, conseil sur les aspects réglementaires et déontologiques de leur activité, défense des acteurs de la santé dans des contentieux complexes, corporate santé, contentieux civils et disciplinaires des professions réglementées


Elle développe également des connaissances spécifiques : structures d’exercice et de moyens des professionnels de santé, déontologie des professionnels de santé, contentieux disciplinaires, partenariats publics/privés et partenariats avec des groupes d’hospitalisation privés, télémédecine et e-santé