Corporate santé : Regards croisés 

Le cabinet allie ses expertises corporate et santé pour proposer une série de Regards Croisés destinée aux acteurs et investisseurs du secteur de la santé.

Cette rubrique animée par Fabienne Kerebel et Nathalie Boudet-Gizardin décrypte les actualités et les spécificités des sociétés de santé, dans le prolongement du dossier "Capital et gouvernance dans les sociétés de santé" (Actes pratiques et ingénierie sociétaire janv.-fev. 2022, LexisNexis)

Les premiers chapitres de ces Regards Croisés seront consacrés au projet d’ordonnance réformant l’exercice en société des professions libérales.

Une réforme de l’exercice en société des professions libérales est attendue prochainement. L’analyse du texte en préparation offre un bilan mitigé. 

Parmi les innovations à saluer, figure l’introduction d’un fondement légal au droit de retrait dans les SEL. Aujourd’hui, un associé ne peut pas exiger sa sortie du capital de la SEL, même en cas de cessation de son activité professionnelle. Demain, cette sortie sera de droit. 

Par Fabienne Kerebel, avocat counsel

Contexte

Une réforme des professions libérales en général et des SEL et SPFPL en particulier est annoncée : 

  • la loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante (Loi n°2022-172 du 14 février 2022, art. 7) a habilité le Gouvernement à clarifier par voie d’ordonnance le régime des professions libérales réglementées auxquelles appartiennent les professions de santé ;
  • un projet d’ordonnance « relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées » a été communiqué aux professions dès le mois de mars 2022 ; sa publication serait imminente.

Cette réforme, que nous appelions de nos vœux 1, est bienvenue. La loi du 31 décembre 1990 2, par la création des sociétés d’exercice libéral (SEL) puis des sociétés de participation financière des professions libérales (SPFPL), a fondé la recomposition de la médecine libérale, principalement par voie de concentration. Trente années d’application, d’interprétations, d’amendements et de réécritures couplées à trente années d’évolution du secteur des professions libérales ont rendu ce texte fondateur, déjà complexe, presque inintelligible et inadapté sur un certain nombre d’items.

L’ordonnance attendue entend faire œuvre de clarification et de modernisation. Au regard du projet circularisé par le gouvernement, s’agissant des SEL/SPFPL, le résultat est partiellement atteint : si le texte améliore la situation actuelle sur divers sujets d’inégale importance, il déçoit également sur d’autres, revenant sur le libéralisme ayant guidé les dernières réformes 3.

Le traitement du droit de retrait relève toutefois de la première hypothèse.

Aujourd’hui : absence de droit de retrait dans les SEL

La clause de retrait est celle qui octroie le droit à un associé, sur sa seule décision, à tout moment ou selon certaines circonstances (délais, évènements, etc.), de sortir du capital de la société et ainsi d’obtenir le remboursement de son apport ou sa contre-valeur. 

En l’état du droit, si cette clause est de droit dans la SCP 4, elle est exclue dans les SEL comme l’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt remarqué, à propos d’une SELARL d’avocats (la solution étant transposable aux SEL d’autres professions, notamment aux SEL de santé) : « à défaut de dispositions spéciales de la loi l'autorisant, un associé d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée d'avocats ne peut se retirer unilatéralement de la société, ni obtenir qu'une décision de justice autorise son retrait, peu important le contenu des statuts ». 5

La portée de cette interdiction est très large : l’absence de droit, statutaire ou judiciaire, au retrait concerne toutes les sociétés commerciales (SAS incluse) et, en conséquence, toutes les SEL (et SPFPL). 

En effet :

  • en dépit d’un objet civil, les SEL sont des sociétés commerciales et sont régies par les règles gouvernant ces dernières sous réserve des exceptions prévues par la loi destinées à garantir la préservation de l’indépendance des associés professionnels exerçants ;
  • la loi du 31 décembre 1990 et, s’agissant des SEL de médecins, l’article R. 4113-19 du Code de la santé publique envisagent la « cessation de l’activité professionnelle » au sein de la SEL sans la lier à ou évoquer la détention capitalistique de l’associé concerné dans la SEL. 

Ainsi, aujourd’hui, la seule solution pour aligner cessation de l’activité professionnelle et sortie du capital de la SEL est : 

  • soit d’adopter la variabilité du capital (ouverte aux SELARL, SELCA et SELAS), le droit de retrait étant impératif dans les sociétés à capital variable ; 
  • soit de recourir à des mécanismes alternatifs, légaux (actions de préférence rachetables) ou contractuels (promesse d’achat). 

Demain : l’introduction d’un droit de retrait dans les SEL/SPFPL ?

L’article 55 du projet d’ordonnance prévoit qu’« un associé peut se retirer de la société, soit qu'il cède ses parts sociales, soit que la société lui rembourse la valeur de ses parts ». 

Ce texte entend ainsi, par dérogation aux dispositions légales applicables aux sociétés commerciales, introduire un fondement légal au droit de retrait. Cette initiative est évidemment à saluer ; elle facilitera la sortie du capital d’un associé professionnel exerçant cessant son activité au sein de la SEL en lui offrant un droit de sortie, spécifiquement lorsque les statuts de la SEL (capital variable, actions rachetables) ou un pacte d’associés (promesse d’achat) n’auront pas encadré les modalités de sortie du capital.

Cette disposition appelle toutefois une triple réserve : 

  • Le texte vise uniquement les « parts sociales » de l’associé, laissant entendre que le droit de retrait serait limité aux SELARL ; la réservation du droit de retrait aux SELARL ne reposant sur aucune justification, il s’agit probablement d’une maladresse rédactionnelle dont il faut espérer la correction dans le texte final de l’ordonnance. 
  • Le texte rend le droit de retrait impératif comme en matière de sociétés à capital variable, sans donc laisser la faculté aux statuts d’opter ou non pour l’introduction d’un droit de retrait ; or, en certaines situations, compte tenu des conséquences attachées à l’exercice d’un tel droit dans les SEL n’ayant pas opté pour la dépatrimonalisation, un droit de retrait facultatif paraît plus pertinent. 
  • Le texte ne précise pas si des conditions statutaires pourront assortir l’exercice de ce droit de retrait (délai, volume annuel, etc.) ; il est raisonnable de penser, par analogie avec la jurisprudence en matière de sociétés à capital variable, que tel sera le cas dès lors que ces conditions n’entraveront pas anormalement l’effectivité du droit de retrait tel qu’il se conçoit dans une SEL. À noter, s’agissant des sociétés déjà constituées, que l’introduction de telles conditions dans les statuts devrait requérir l’unanimité des associés. 

Cette analyse sera à confirmer sur la base du texte définitif de l’ordonnance, dont la publication est attendue dans les semaines qui viennent.

  1. Capital et gouvernance dans les sociétés de santé (Actes pratiques et ingénierie sociétaire Lexis-Nexis, n°181, janvier/février 2022).
  2. Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dnt le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.
  3. En particulier, la loi n°2015-990 du 6 août 2015 dite Loi Macron.
  4. Loi n° 66- 879, 29 nov. 1966, art. 18 et 21.
  5. Cass. 1ère civ. 12 décembre 2018, n° 17-12.467 – ultérieurement confirmé.

 

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Portraits GINESTIÉ MAGELLAN PALEY-VINCENT 2021

Nathalie Boudet-Gizardin

Associée

Elle a rejoint le cabinet la même année au sein de l’équipe Civil et Santé de Catherine Paley-Vincent. Elle conseille les acteurs de santé particulièrement en matière de :

Défense civile, disciplinaire et pénale des professionnels de santé, des ordres professionnels et des laboratoires de biologie médicale et vétérinaire.

Fabienne-Kerebel

Fabienne Kerebel

Counsel

Elle a acquis une solide expertise du droit des sociétés cotées et non cotées et ses différentes composantes, en particulier le private equity et les fusions-acquisitions.

À ce titre, Fabienne conseille entreprises et dirigeants sur leurs opérations de croissance externe, l’évolution de leur gouvernance ou de l’actionnariat, l’intéressement des managers-clefs ou la réorganisation des structures sociétaires.