Par Catherine Paley-Vincent, Avocat associée et Nathalie Boudet-Gizardin, Avocat counsel

Depuis 1947, le code de déontologie médicale pose le principe d’une interdiction générale de publicité pour les médecins, seule l’information du public leur étant autorisée.

En France, cette interdiction n’est pas propre aux médecins, mais commune à l’ensemble des professionnels de santéconstitués en ordres professionnels, à l’exception des pharmaciens qui bénéficient d’un régime particulier d’autorisation.

Jusqu’ici, les Chambres disciplinaires sanctionnaient très sévèrement cette interdiction, en prononçant, souvent, une peine de suspension d’exercice ferme à l’égard du médecin fautif, sur le fondement de plusieurs articles du code de la santé publique (R.4127-19 ; R.4127-13 ; R.4127-20).

 

Quand les usages numériques conduisent à une évolution de la jurisprudence 

Jugée conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel, la réglementation française n’a, pendant longtemps, été remise en cause ni par l’Autorité de la concurrence, ni par le droit européen, jusqu’à l’arrêt Vanderborghtrendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) le 4 mai 2017.

Dans cet arrêt, la CJUE a jugé que la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 dite « commerce électronique » s’opposait à une législation nationale qui « interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires et toute forme de communications commerciales par voie électronique y compris par un site Internet créé par un dentiste ».

Un an plus tard, le 3 mai 2018, le Conseil d’Etat a publié une étude relative aux « Règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité », proposant notamment « de supprimer l’interdiction de la publicité directe ou indirecte dans le code de la santé publique et [de] poser un principe de libre communication des informations par les praticiens au public, sous réserve du respect des règles gouvernant leur exercice professionnel. »

Le Conseil d’Etat préconise notamment d’élargir la communication des professionnels de santé à trois domaines : leurs compétences et pratiques professionnelles, leur biographie professionnelle, et enfin les informations pratiques relatives à leur exercice, comme les horaires de leur cabinet ou les équipements dont il dispose.

Dans une décision récente du 15 janvier 2019, l’Autorité de la Concurrence, saisie parla société Groupon de faits qu’elle estimait constitutifs d’une pratique de boycott mise en œuvre par le Conseil National de l’Ordre des Médecins, a également insisté, « sur la nécessité de modifier, à brève échéance, les dispositions relatives à la publicité, afin de tenir compte de l’évolution de la jurisprudence de la CJUE »

C’est sous l’impulsion de cette décision de la CJUE du 4 mai 2017, que le Conseil d’Etat, à l’occasion d’un recours dirigé par un médecin contre le refus de la Ministre des solidarités et de la santé d'abroger l'article R. 4127-19 du code de la santé publique,a jugé, dans un arrêt du 6 novembre 2019 :

 « qu’il résulte des stipulations de l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt rendu le 4 mai 2017 dans l'affaire C-339/15, qu'elles s'opposent à des dispositions réglementaires qui interdisent de manière générale et absolue toute publicité, telles que celles qui figurent au second alinéa de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique ».

Ainsi, le Conseil d’Etat a :

  • annulé le refus de la Ministre d'abroger le second alinéa de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique ;
  • mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser au médecin requérant.

Dans un second arrêt du même jour, le Conseil d'État a transposé cette solution aux chirurgiens-dentistes, remettant ainsi en cause la légalité de l’interdictiongénérale et absolue de toute publicité qui leur est imposée, par les articles R. 4127-215 et R. 4127-225 du code de la santé publique.

 

Après 70 ans d’interdiction, la levée de l’interdiction de publicité imposée aux professionnels de santé est donc imminente et désormais indispensable pour mettre un terme à l’insécurité juridique actuelle.

Catherine-Paley-Vincent

Catherine Paley-Vincent

Associée

Expert reconnu en droit de la santé, elle intervient notamment pour la constitution et le suivi de structures entre professionnels de santé hospitaliers et/ou libéraux, pour la gestion des conflits éventuels et de leurs suites transactionnelles, judiciaires ou disciplinaires. Le domaine de l’Imagerie médicale lui est particulièrement familier.

Elle conseille des laboratoires pharmaceutiques en matière de dispositifs médicaux, d’étiquetage et d’essais cliniques.

Elle est régulièrement consultée sur l’application de la déontologie, notamment en matière de réglementation des Ordres professionnels de réseaux, de publicité et d’internet utilisé dans le monde médical et vétérinaire.

Nathalie-Boudet

Nathalie Boudet-Gizardin

Counsel

Elle a rejoint le cabinet la même année au sein de l’équipe Civil et Santé de Catherine Paley-Vincent. Elle conseille les acteurs de santé particulièrement en matière de :

Défense civile, disciplinaire et pénale des professionnels de santé, des ordres professionnels et des laboratoires de biologie médicale et vétérinaire

Conseil et assistance des professionnels de santé pour structurer leurs activités, y compris dans le cadre de coopération public/privé, notamment en imagerie médicale

Accompagnement des professionnels de santé et des entreprises innovantes dans le développement de leurs projets e-santé.