Par Catherine Paley-Vincent, Avocat associée et Nathalie Boudet-Gizardin, Avocat counsel

Depuis une dizaine d’années, la réglementation contradictoire relative à la pratique des actes d’épilation laser fait débat en France et a donné lieu à des jurisprudences divergentes de la part du Conseil d’État et de la Cour de Cassation, source d’une insécurité juridique certaine, pour les patients, les praticiens mais également pour les centres d’épilation lasers qui ne cessent de se multiplier.

Alors que l’arrêté du 6 janvier 1962 réserve aux seuls médecins « tout mode d'épilation », sauf les épilations à la pince ou à la cire (article 2-5 °), l’arrêté du 30 janvier 1974 réglementant les lasers à usage médical semble, en apparence, assouplir cette réglementation, dans son article 2, en prévoyant que « les lasers à usage médical sont des appareils devant être utilisés par un médecin ou sous sa responsabilité ».

Ces deux arrêtés ont fait, jusqu’à très récemment, l’objet d’une divergence manifeste d’interprétation par les juridictions administratives et judiciaires.

Alors que la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des Médecins ainsi que le Conseil d’État adoptaient une position très stricte, en refusant de reconnaitre la possibilité pour un non-médecin de réaliser des actes d’épilation au laser, même sous la responsabilité d’un médecin sur le fondement de l’article 2 de l’arrêté du 30 janvier 1974, la Cour de cassation a admis la légalité d’un tel procédé, sous certaines conditions restrictives, combinant ainsi les dispositions prévues par les arrêtés de 1962 et de 1974 précitées.

Il en résulte que des praticiens pouvaient être sanctionnés par la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des Médecins, sur le fondement de la complicité d’exercice illégal de la médecine, en ayant eu recours, dans leur cabinet, à des assistantes pour pratiquer des actes d’épilation au laser, alors que d’autres praticiens ne l’étaient pas devant les juridictions judiciaires, pour des faits identiques.

Saisie de cette difficulté, en février 2012, par la Direction Générale de la Santé, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a rendu un avis sur les « Risques sanitaires liés à l’utilisation des appareils mettant en œuvre des agents physiques destinés à la pratique des actes à visée esthétique », en décembre 2016.

Dans cet avis, l’ANSES recommande de réglementer les actes d’épilation ou de lipolyse réalisés par « des personnels collaborateurs en cabinet médical », en autorisant ces derniers à les pratiquer, dans les conditions suivantes :

1. Avant tout acte esthétique, le sujet devrait avoir été examiné par le médecin compétent, afin de s’assurer de l’absence de contre-indication et définir le type, le nombre de séances et les paramètres physiques du traitement à lui appliquer. Il est également recommandé que le sujet soit revu par le médecin à la fin de chaque séance, et bien sûr en cas de survenue d’un effet secondaire ;

2. Un médecin responsable doit être obligatoirement présent dans les locaux pendant toute la période de réalisation de ces actes.

À la suite de cet avis, le gouvernement s’apprêtait à publier, le 1er juillet 2019, deux projets de décret et d'arrêté modifiant l'arrêté du 6 janvier 1962 et autorisant « tout infirmier, tout professionnel paramédical exerçant sous la responsabilité d’un médecin ou tout esthéticien » à pratiquer l'épilation par lumière pulsée intense.
Sous la pression des différents syndicats de dermatologues, dont le monopole pour la pratique de l'épilation à lumière intense pulsée était remis en cause, la publication de ces textes a été retardée.

En revanche, dans un arrêt du 8 novembre 2019, rendu par les 1re et 4e chambres réunies (n° 424954) et mentionné aux tables du recueil, le Conseil d’État a jugé que « les dispositions du 5° de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 méconnaissent, en tant qu'elles réservent ces modes d'épilation aux docteurs en médecine, la liberté d'établissement et la libre prestation de services garanties par les articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne », aux motifs que :
« il ne ressort pas des éléments versés au dossier que seul un médecin puisse manipuler, sans risque pour la santé, des appareils à laser ou des appareils à lumière pulsée et que des mesures mieux adaptées, tenant par exemple à l'examen préalable des personnes concernées par un médecin et à l'accomplissement des actes par des professionnels qualifiés sous la responsabilité et la surveillance d'un médecin, ne puissent garantir la réalisation de l'objectif de protection de la santé publique poursuivi par la mesure critiquée. Au demeurant, l'article L. 1151-2 du code de la santé publique permet de soumettre la pratique des actes, procédés, techniques et méthodes à visée esthétique autres que de chirurgie, si elle présente des risques sérieux pour la santé des personnes, à des règles, à définir par décret, relatives à la formation et à la qualification des professionnels pouvant les mettre en œuvre, à la déclaration des activités exercées et à des conditions techniques de réalisation, ainsi qu'à des règles de bonnes pratiques de sécurité à définir par arrêté du ministre chargé de la santé. »

En prononçant l’illégalité, au regard du droit européen, de l’arrêté du 6 janvier 1962 réservant la pratique de l’épilation au laser ou à la lumière pulsée aux seuls médecins, le Conseil d’État invite incontestablement à légiférer.

La porte est entrouverte…

Affaire à suivre. 

Catherine-Paley-Vincent

Catherine Paley-Vincent

Associée

Expert reconnu en droit de la santé, elle intervient notamment pour la constitution et le suivi de structures entre professionnels de santé hospitaliers et/ou libéraux, pour la gestion des conflits éventuels et de leurs suites transactionnelles, judiciaires ou disciplinaires. Le domaine de l’Imagerie médicale lui est particulièrement familier.

Elle conseille des laboratoires pharmaceutiques en matière de dispositifs médicaux, d’étiquetage et d’essais cliniques.

Elle est régulièrement consultée sur l’application de la déontologie, notamment en matière de réglementation des Ordres professionnels de réseaux, de publicité et d’internet utilisé dans le monde médical et vétérinaire.

Nathalie-Boudet

Nathalie Boudet-Gizardin

Counsel

Elle a rejoint le cabinet la même année au sein de l’équipe Civil et Santé de Catherine Paley-Vincent. Elle conseille les acteurs de santé particulièrement en matière de :

Défense civile, disciplinaire et pénale des professionnels de santé, des ordres professionnels et des laboratoires de biologie médicale et vétérinaire

Conseil et assistance des professionnels de santé pour structurer leurs activités, y compris dans le cadre de coopération public/privé, notamment en imagerie médicale

Accompagnement des professionnels de santé et des entreprises innovantes dans le développement de leurs projets e-santé.