Par Nathalie Boudet-Gizardin, Associée et Mathilde Jannet, Collaborateur

Médecins radiologues : prenez garde aux remplacements de longue durée !

Article publié avec l'aimable autorisation du Journal de Droit de la Santé et de l’Assurance Maladie – JDSAM n°34 - 2022

Statut de choix pour pallier l’absence temporaire d’un confrère empêché, le remplacement est un outil juridique au maniement simple, souple dans son fonctionnement, et traditionnellement bien connu des médecins libéraux.

En imagerie médicale particulièrement, nombreux sont les médecins radiologues libéraux qui gèrent leur centre d’imagerie médicale en ayant recours à des médecins remplaçants réguliers, parfois fidèles à la structure depuis de nombreuses années. Certains de ces remplaçants espèrent à terme se voir proposer d’intégrer l’association professionnelle, d’autres, au contraire, font le choix de ce statut précaire, peu contraignant, pour conserver une certaine liberté et indépendance dans leur exercice professionnel. Ces médecins remplaçants sont souvent des confrères qui ont encore un pied à l’hôpital et souhaitent « goûter » à l’exercice libéral. Ils peuvent être également des étudiants en médecine titulaires d’une licence de remplacement.

Cette pratique récurrente du recours aux médecins remplaçants en imagerie médicale présente plusieurs avantages incontestables et un certain confort pour la structure d’accueil. S’appuyer sur des remplaçants de qualité permet, avant toute chose, d’assurer la continuité des soins aux patients, dans un contexte de grande pénurie de radiologues en France, et de fidéliser cette patientèle. Passage obligé avant une éventuelle association, le jeune radiologue remplaçant doit « faire ses preuves » et peut-être enclin à s’investir personnellement dans le fonctionnement du centre d’imagerie qu’il a pour cible, sans pour autant pouvoir participer à sa gouvernance. Il a une place de choix pour tisser des relations de confiance avec d’éventuels médecins correspondants, sans pour autant représenter une menace pour le médecin remplacé : la patientèle reste juridiquement celle du médecin remplacé - en réalité davantage celle du centre d’imagerie - le médecin remplaçant étant, en principe, lié par une clause de non-concurrence en cas de départ, sauf accord contractuel dérogatoire.

Toutefois, lorsque le remplacement devient pérenne et s’inscrit dans la longue durée, il n’est plus en adéquation avec le cadre juridique et déontologique qui lui est applicable. Il peut alors représenter un danger pour le médecin remplacé et/ou la structure d’accueil, sur lesquels pèsent un risque juridique de requalification du contrat de remplacement (1) ainsi qu’un risque de redressement fiscal (2) liés à un mésusage du remplacement.

1 - Le risque juridique de requalification lié au remplacement régulier de longue durée

Un statut juridique strictement encadré

Rappelons que le statut de médecin remplaçant est strictement encadré par l’article R.4127-65 du Code de la santé publique (article 65 du Code de déontologie médicale) et par les recommandations du Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) appliquées par les Conseils Départementaux de l’Ordre des Médecins.

Ainsi, le remplacement doit rester personnel c’est-à-dire que le médecin remplaçant ne peut remplacer qu’un seul médecin nommément désigné. Cela signifie que le remplacement simultané de plusieurs médecins est interdit, y compris au sein d’une même société d’exercice libéral (SEL), sauf circonstances exceptionnelles appréciées par le Conseil départemental de l’Ordre des Médecins du médecin remplacé. Lorsque le médecin remplacé exerce en SEL, le contrat de remplacement doit être tripartite et être signé à la fois par le médecin remplacé, le médecin remplaçant et la société d’exercice.

Le remplacement doit également être limité dans le temps et correspondre à la période où le médecin remplacé est indisponible, dans la mesure où l’article R 4127-89 du Code de la santé publique interdit à un médecin de faire gérer son cabinet par un confrère.

Enfin, le médecin remplacé doit cesser toute activité médicale pendant toute la durée du contrat de remplacement. Toutefois, des dérogations à cette règle peuvent être accordées par le Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins, dans l'intérêt de la population lorsqu'il constate une carence ou une insuffisance de l'offre de soins.

La conclusion d’un contrat de remplacement écrit entre le médecin remplaçant et le médecin remplacé, exigée par l’article R. 4127-91 du Code de la santé publique, revêt une importance particulière en cas de litiges entre les parties ou avec l’Administration fiscale. Elle constitue en effet un élément de preuve intangible de la volonté des parties.

Ce contrat, dont un modèle type figure sur le site internet du CNOM, devrait idéalement, a minima, comporter les dispositions suivantes :

  • la description précise des moyens humains et matériels mis à la disposition du médecin remplaçant pour lui permettre d’exercer son activité auprès de la patientèle du médecin remplacé ;
  • la durée du remplacement ;
  • l’obligation d’assuranceresponsabilité civile professionnelle du médecin remplaçant ;
  • l’obligation d’utiliser les feuilles de soins du médecin remplacé : le médecin remplaçant utilisera les ordonnances, feuilles de soins et imprimés pré-identifiés exclusivement au nom du médecin remplacé, sur lesquels il devra faire mention de son identification personnelle suivie de la mention « remplaçant » ;
  • les modalités de rémunération du médecin remplaçant : par principe, c’est le médecin remplacé qui encaisse les honoraires et en rétrocède une partie au médecin remplaçant, qui ne peut percevoir aucun honoraire à son nom propre. Cette rétrocession peut en pratique prendre deux formes différentes : elle peut correspondre à un pourcentage du total des honoraires perçus ou restant à percevoir par le médecin remplacé sur la période du remplacement (recommandé par le CNOM). Il est également fréquent, en imagerie médicale notamment, de rémunérer son remplaçant de façon forfaitaire « à la vacation » ;
  •  le rappel de l’obligation de non-concurrence à l’issue du remplacement, prévue par l’article R. 4127-86 du Code de la santé publique ;
  • l’obligation de conciliation préalable en cas de litige entre le médecin remplaçant et le médecin remplacé, conformément à l’article R.4127-56 du Code de la santé publique ;
  •  l’obligation de communication du contrat de remplacement au Conseil départemental de l’Ordre des Médecins par le médecin remplacé.

Malheureusement, dans la pratique, il s’agit d’un vœu pieux et bon nombre de contentieux relatifs aux remplacements surviennent en l’absence de tout contrat écrit encadrant les relations entre les parties, ou en présence de contrats mal rédigés, ou ne retranscrivant que partiellement la réalité de ces relations.

Un statut juridique souvent détourné

C’est le plus souvent à l’occasion d’une rupture brutale d’un remplacement de longue durée qu’un contentieux survient. Le médecin remplacé, subitement privé de revenus, parfois sans respect d’aucun préavis, est alors à la recherche de leviers juridiques pour être indemnisé.

L’analyse de la jurisprudence judiciaire en la matière démontre, qu’en fonction de leurs conditions effectives d’exercice, les médecins remplaçants tentent alternativement de faire requalifier leurs contrats de remplacements, lorsqu’ils en ont conclu un :

  • soit en société créée de fait, ce qui suppose pour le médecin remplaçant de prouver l’existence d’un apport et la volonté du médecin remplacé de le faire participer en qualité d’associé, sur un pied d’égalité, au partage des bénéfices, aux pertes éventuelles, ainsi qu’au bon fonctionnement financier et administratif de la société ;
  • soit en contrat d’exercice libéral à durée indéterminée ou en contrat de collaboration libérale à condition que le médecin remplaçant ait été directement rémunéré par le patient ;
  • soit en contrat de travail, dans l’hypothèse où le médecin remplaçant a exercé dans le cadre d’un service organisé, où il était soumis à un lien de subordination.

Pour se prononcer sur la pertinence d’une telle demande de requalification, les juridictions recherchent l’existence d’éléments probants démontrant, in concreto, que le médecin « exerçait la médecine dans le cadre d’un statut différent de celui du médecin remplaçant », qu’il s’agisse des modalités de sa rémunération, de son lien de subordination, ou encore de sa participation aux bénéfices et aux charges de la société.

La Cour d’appel de Versailles l’a encore récemment confirmé dans un arrêt du 18 mai 2020[1], rendu dans le cadre d’une demande de requalification d’un remplacement régulier de longue durée en imagerie médicale, confirmé par un arrêt de la Cour de cassation du 20 octobre 2021[2].

Un médecin radiologue, le Dr A, avait exercé pendant huit ans et demi au sein d’un centre d’imagerie médicale en Ile-de-France, aux côtés de plusieurs autres confrères radiologues, sans aucun contrat écrit précisant le cadre de son intervention, à l’exception de deux contrats de remplacements conclus pour une durée de 6 mois avec deux de ces derniers. Aucun accord écrit n'avait davantage été passé entre le Dr A et le centre d’imagerie médicale. 

Par courrier du 22 mai 2013, le centre d’imagerie médicale avait demandé aux médecins radiologues d'informer leur « remplaçant », le Dr A, de faits graves qui lui étaient reprochés, et d'y mettre un terme jusqu'à la réunion d'un Conseil d'Administration Extraordinaire devant statuer sur son devenir dans le centre. Le 25 juin 2013, à l'occasion de ce Conseil d'Administration, il avait été voté la décision d'interdire au Dr A l'accès du centre, prenant effet au 1er juillet 2013. Le Dr A, contestant cette décision, avait sollicité un délai de préavis de 6 mois par courrier du 26 juin 2013, auquel il avait été répondu par la négative par un courrier du PDG du centre, le 28 juin 2013.

Le Dr A avait alors saisi le Conseil départemental de l'Ordre des médecins des Hauts-de-Seine d'une demande de conciliation le 7 novembre 2013, mais celle-ci n'ayant pas abouti, il avait assigné solidairement, devant le Tribunal Judiciaire de Nanterre, le centre d’imagerie médicale et ses confrères radiologues, sollicitant notamment la requalification de ses contrats de remplacements.

Par jugement du 22 février 2018, le Tribunal Judiciaire de Nanterre a rejeté la demande tendant à la requalification des contrats de remplacements liant le Dr A à ses confrères radiologues mais a condamné in solidum ces derniers à lui verser une somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations contractuelles. Le Dr A a interjeté appel de cette décision.

Dans son arrêt du 18 mai 2020, la Cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement du Tribunal Judiciaire de Nanterre en ce qu'il avait rejeté la demande du Dr A tendant à la requalification de ses contrats de remplacements, aux motifs notamment que :

  • « l'absence d'information du conseil de l'ordre par les médecins remplacés n'excluait pas la qualification de contrat de remplacement et que les dispositions réglementaires, si elles imposent la rédaction d'un contrat écrit et sa communication à l'instance ordinale, n'étaient pas sanctionnées par la nullité du contrat mais par d'éventuelles sanctions disciplinaires. »
  • « si l'activité du remplaçant avait un caractère par nature provisoire, correspondant à la durée d'indisponibilité du médecin remplacé, l'intervention régulière d'un médecin à la place du médecin habituel, sur des plages définies de manière habituelle et de courte durée, n'excluait pas le principe du remplacement, qui interdit seulement au médecin remplacé d'exercer en même temps dans ce même cabinet, observant qu'il importait que de tels remplacements n'aboutissent pas à une gérance du cabinet par le médecin remplaçant, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. (…) »
  • « le Dr A exerçait en toute indépendance et non dans le cadre d'un service organisé, dans lequel il aurait eu un quelconque lien de subordination. Si le Dr A soutenait avoir exercé dans le cadre d'un contrat verbal à durée indéterminée d'exercice libéral, aucun élément ne permettait de considérer qu'il exerçait dans un tel cadre, au regard des conditions de sa rémunération, ses rétributions lui étant versées directement par le médecin faisant appel à ses services, à raison d'un pourcentage de ses propres honoraires, ou au forfait, ou à l'acte, excluant ainsi par principe l'existence d'un tel contrat qui supposerait qu'il soit rémunéré directement par le patient. »
  • « les conditions d'exercice de son art étaient exclusives du contrat de collaborateur libéral tel que défini par la loi du 2 août 2005. »
  • « aucun contrat d'association n'avait été convenu entre les parties, qui supposerait d'autres conditions de rémunération d'une part, et d'autre part la participation financière et administrative du Dr A au bon fonctionnement de leur activité, qui faisait défaut. »
  • « qu’il ne pouvait être soutenu par le Dr A qu'il ait été lié au centre d’imagerie médicale par un contrat d'exercice libéral, alors que cette société est une société commerciale qui n'exerce pas la médecine, ne perçoit aucun honoraire médical mais des redevances que lui versent les médecins utilisant le matériel dont elle est propriétaire et qu'elle met à leur disposition. »

La Cour d’appel de Versailles est, par ailleurs, venue confirmer que « l’absence d'obligation de préavis ne dispense pas de respecter un délai de prévenance qui rend compte de la relation qui s'est instaurée au fil du temps entre les parties, sauf si les causes de la rupture mettent en évidence qu'il n'était pas envisageable de garder plus longtemps le Dr A en qualité de remplaçant ». En l’occurrence, elle a jugé que les faits exposés « ne dispensaient pas les médecins faisant appel au Dr A de respecter un délai de prévenance raisonnable, au regard des années durant lesquelles leurs relations avaient existé et que ce délai n'avait pas été respecté, à l'origine d'un préjudice pour Dr A. », qu’elle a ramené à 15.000 €.

La position de la Cour d’appel de Versailles rappelle celle adoptée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 27 septembre 2012[3], ayant rejeté une demande de requalification d’un contrat de remplacement introduite par une chirurgienne stomatologue ayant exercé aux côtés d’un confrère pendant sept ans, un seul contrat de remplacement pour une période de six mois ayant toutefois été conclu entre eux.

Le rejet portait sur la demande de requalification du contrat de remplacement, d’une part, en société créée de fait, considérant que « l’affectio societatis et le partage des bénéfices et des pertes étaient manquants », d’autre part, en contrat de collaboration libérale, aux motifs que la chirurgienne demanderesse « ne percevait pas directement les honoraires des patients qu’il traitait » et qu’elle ne s’était pas immatriculée à l’URSSAF durant cette période en qualité de médecin indépendant.

En revanche, la Cour d’appel de Paris avait également estimé « que si la relation contractuelle verbale était sans terme défini, permettant d’y mettre fin unilatéralement à tout moment, il appartenait au médecin remplacé de respecter un délai raisonnable de prévenance tenant compte de l’ancienneté de la relation ». En l’espèce, le défaut de respect d’un tel délai, privant subitement le demandeur du revenu habituel qu’il tirait de son activité de remplacement, avait été aggravé par le caractère vexatoire de l’annulation subite de ses consultations auprès de la patientèle, de sorte qu’il y avait lieu de l’indemniser à hauteur de 35.000 € toutes causes de préjudice confondues.

Réticents à franchir le pas d’une requalification en société créée de fait ou en contrat d’exercice libéral à durée indéterminée, certains juges du fond ont toutefois déjà admis la requalification de contrats de remplacements en contratsde collaboration libérale ou de travail à durée indéterminée.

S’agissant de la requalification en contrat de collaboration libérale, compte tenu des conditions dans lesquelles des infirmières remplaçantes exerçaient leur activité (remplacements constants, modalités de leur rémunération, etc.), la Cour d’Appel de Grenoble a, dans deux arrêts récents en date des 11 décembre 2018[4] et 3 mai 2022[5], requalifié leurs contrats de remplacements en contrats de collaboration libérale.

S’agissant de la requalification en contrat de travail à durée indéterminée, celle-ci est régulièrement admise par la Chambre Sociale de la Cour de cassation. L’arrêt rendu le 29 janvier 2014[6] en est un excellent exemple. En l’espèce, après avoir constaté qu’un médecin anesthésiste remplaçant « ne disposait pas de la liberté d’organiser ses interventions directement en fonction des sujétions résultant de l’organisation de la clinique, mais recevait des consignes de la part des quatre médecins qu’elle remplaçait, lesquels lui imposaient les plannings et l’affectaient à telle ou telle vacation, qu’elle ne disposait pas de la possibilité de se constituer une clientèle propre, qu'elle devait remplir les dossiers administratifs des clients pour le compte des médecins remplacés et que la prétendue liberté de fixer le dépassement d'honoraires était en lien avec le choix du secteur du titulaire pour le compte duquel elle intervenait et qui conservait une partie importante des dépassements, ce qui établissait l’existence d’un lien de subordination », la Cour d’appel de Paris a pu en déduire que ce médecin anesthésiste avait exercé ses fonctions dans le cadre d'un contrat de travail.

Au-delà du risque juridique de requalification, le remplacement régulier de longue durée peut également exposer les médecins remplacés et leur structure d’exercice à un risque de redressement fiscal sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) par l’Administration fiscale.

2 - Le risque fiscal lié au remplacement régulier de longue durée

Si la conclusion d’un contrat de collaboration libérale peut permettre à deux médecins d’exercer concomitamment leur activité dans les mêmes locaux, ce qui présente un intérêt certain dans une situation de forte activité, le recours à un médecin remplaçant de façon occasionnelle est fiscalement plus avantageux dès lors que la redevance versée au médecin remplacé par le médecin remplaçant est exonérée de TVA. (voir infra)

Telle n’est pas le cas de la redevance versée au propriétaire d’un cabinet par son collaborateur dans le cadre d’un contrat de collaboration libérale, qui constitue pour le propriétaire la contrepartie de la mise à disposition de ses locaux professionnels aménagés et qui doit, à ce titre, être soumise à la TVA[7], sous réserve des limites de la franchise en base[8].

Cette analyse repose sur la nature même du contrat de collaboration qui est « l'acte par lequel un praticien met à la disposition d'un confrère les locaux et le matériel nécessaires à l'exercice de la profession ainsi que, généralement la clientèle qui y est attachée, moyennant une redevance égale à un certain pourcentage des honoraires encaissés par le collaborateur. Aux termes de ce contrat, l'assistant-collaborateur exerce son art sous sa propre responsabilité et jouit d'une entière indépendance professionnelle. Il porte sur les documents de l'assurance maladie son propre cachet et assure lui-même la couverture de sa responsabilité professionnelle. Eu égard aux clauses de ce type de contrat, qui ne remet pas en cause le caractère libéral de l'activité, l'assistant-collaborateur doit être regardé comme exerçant sa profession de manière indépendante »[9].

La question se pose dans des termes un peu différents dans le cadre d’un contrat de remplacement.

Rappelons que conformément aux termes de l’article 261, 4, 1° du Code Général des Impôts (CGI)[10] les prestations de soins à la personne, c'est-à-dire toutes les prestations qui concourent à l'établissement des diagnostics médicaux ou au traitement des maladies humaines, dispensées par des professionnels médicaux ou paramédicaux, sont exonérées de la TVA.

Dans un contrat de remplacement, les honoraires versés par le patient sont encaissés par le médecin remplacé (ou la structure d’exercice), dont une partie doit être rétrocédée au médecin remplaçant sous la forme d’une rétrocession d’honoraires. Dès lors qu’elle rémunère une prestation de soins, cette rétrocession d’honoraires entre dans le champ d’application de l’article 261, 4, 1° du CGI précité et est donc exonérée de la TVA, peu importe que cette somme ne soit pas versée directement au remplaçant par le patient, mais par le remplacé puisque « les modalités de versement de ces sommes […] ne modifient pas, au regard de la TVA, la nature de la prestation réalisée en contrepartie »[11].

Toutefois, si le médecin remplacé (ou la structure d’exercice) rétrocède au médecin remplaçant une partie des honoraires qu’il a perçus, il en conserve toujours une partie pour couvrir les frais de fonctionnement de la structure ou de son cabinet. Cette somme s’apparente, comme dans un contrat de collaboration libérale, à une redevance, dont la question de la soumission à la TVA est toutefois plus subtile que dans un contrat de collaboration libérale.

Interrogée sur ce point précis dans un rescrit fiscal publié le 15 janvier 2020[12], l’Administration fiscale a apporté la réponse suivante:

« Le 1° du 4 de l'article 261 du CGI qui transpose l'article 132, paragraphe 1 sous c) de la directive 2006/112/CE relative au système commun de la valeur ajoutée exonère de TVA sans possibilité d'option, les prestations de soins dispensées aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées.

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) considère que cette exonération est applicable lorsque deux conditions sont satisfaites, à savoir qu'il s'agisse de prestations de soins à la personne et que celles-ci soient fournies par des personnes possédant les qualifications professionnelles requises (CJUE 10 septembre 2002 aff. 141/00 « Ambulanter Pflegedienst Kügler GmbH », ECLI:EU:C:2002:473 ; CJUE 27 avril 2006 ; aff. 443/04 et 444/04 « H.A Solleveld et J.E. van den Hout-van Eijnsbergen », ECLI:EU:C:2006:257).

Il en résulte que les sommes reversées par le médecin remplacé au médecin remplaçant à l'issue du contrat de remplacement sont exonérées de TVA dès lors qu'elles rémunèrent une prestation de soins effectuée par un praticien auprès d'un patient au sens des dispositions du 1° du 4 de l'article 261 du CGI, telles qu'interprétées par la jurisprudence européenne. Les modalités de versement de ces sommes (non pas par le patient lui-même mais par le remplacé au remplaçant) ne modifient pas, au regard de la TVA, la nature de la prestation réalisée en contrepartie.

En revanche, la redevance perçue par le médecin remplacé en contrepartie de la mise à disposition de ses installations techniques et locaux au médecin remplaçant, qui ne rémunère pas une prestation de soins à la personne, est soumise à la TVA, sauf si le remplacement revêt un caractère occasionnel. »

Cette réponse est venue semer le trouble sur l’exonération de TVA jusqu’alors toujours applicable à la redevance conservée par le médecin remplacé, et ce d’autant plus que l’Administration fiscale n’apporte aujourd’hui aucune définition précise de la notion de « remplacement occasionnel ».

Fort de cette nouvelle doctrine, les centres d’imagerie médicale sont, depuis plusieurs années, dans le « viseur » de l’Administration fiscale, qui multiplie les redressements fiscaux de TVA, en présence de remplaçants « non occasionnels ».

En pratique, l’Administration fiscale, ou le juge de l’impôt en cas de contentieux, se livre à une appréciation, au cas par cas, des conditions d’exercice des radiologues remplaçants. L’importance du nombre de remplacements, le caractère systématique des remplacements, le montant du chiffre d’affaires réalisé par ces derniers sont autant de critères qui peuvent justifier une soumission de la redevance à la TVA.

A l’inverse une Cour administrative d’Appel a pu juger que « des remplacements, liés à la survenance d’un évènement précis qui ne s’est pas répété de manière régulière, ont revêtu un caractère occasionnel » et que par conséquent, le médecin remplacé pouvait être exonéré de la TVA sur les redevances qu’il avait perçues[13].

En cas de redressement, l’existence de contrats de remplacements écrits, adressés au Conseil départemental de l’Ordre des Médecins, peut constituer une « arme » pour démontrer le caractère occasionnel des remplacements, à supposer qu’ils le soient, et argumenter en faveur d’une exonération de TVA sur les redevances perçues par le médecin remplacé ou la structure d’accueil du remplaçant.

 


[1] Arrêt de la Cour d’appel de Versailles, 3ème chambre, 18 mai 2020, n° 18/08007

[2] Cass., Civ. 1ère, 20 octobre 2021, n° 20-18.261

[3] CA Paris, 27 septembre 2012, n° 11/14734

[4] CA Grenoble 11 décembre 2018, n° 17/00586

[5] CA Grenoble 3 mai 2022, n° 21/02147

[6] Cass. Soc., 29 janvier 2014, 12-26.940 12-27.511

[7] BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-10 n° 240

[8] La redevance ne sera pas assujettie à la TVA si celle-ci est inférieure à 34 400 € (article 293 B, I-2° du CGI)

[9] RM Pesce n° 26227, JO AN du 23 mai 1983 p. 2300

[10]Cet article transpose l’article 132,1, c), de la directive 2008/112/CE du Conseil du 28 novembre 2008 relative au système commun de TVA

[11] BOI-RES-000056

[12] BOI-RES-000056

[13] CAA de Nancy, 2ème chambre, 20 décembre 2016, 15NC02525

 

Portraits GINESTIÉ MAGELLAN PALEY-VINCENT 2021

Nathalie Boudet-Gizardin

Associée

Experte en Droit de la santé et des professions réglementées (conseil et contentieux), elle intervient dans différents domaines : structuration de l’activité des professionnels de santé, conseil sur les aspects réglementaires et déontologiques de leur activité, défense des acteurs de la santé dans des contentieux complexes, corporate santé, contentieux civils et disciplinaires des professions réglementées.