Par François Devedjian, Avocat associé et Fabienne Kerebel, Avocat counsel

 

Deux arrêts récents confirment et illustrent le risque fiscal mais aussi social porté par le recours aux mécanismes d’intéressement capitalistique (hors mécanismes légaux d’intéressement) des managers.

 

Soumission à cotisations sociales de la plus-value résultant de la cession de BSA

Dans un arrêt récent qui revêt tous les atours d’un arrêt de principe, la Cour de cassation requalifie en avantage soumis à cotisations sociales la plus-value réalisée par des managers au résultat de la cession de leurs BSA.

« attendu qu’il résulte de l’article L. 242-1, alinéa 1, du code de la sécurité sociale que, dès lors qu’ils sont proposés aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, les bons de souscription d’actions constituent un avantage qui entre dans l’assiette des cotisations sociales »

Cette jurisprudence rejoint celle du juge administratif en matière fiscale et confirme le risque inhérent à l’utilisation des BSA comme support de management packages. Selon la Cour de cassation, la plus-value résultant de la cession de BSA est susceptible de constituer un « avantage qui entre dans l’assiette des cotisations sociales » à une double condition :

  • que les BSA soient offerts « en contrepartie ou à l’occasion du travail »,
  • que les BSA aient été acquis à « des conditions préférentielles ».

Le champ des personnes concernées est donc très large. La Cour précise dans son arrêt que « un lien est affirmé (…) entre d’une part l’attribution de BSA et le maintien de ceux-ci, et d’autre part, l’existence et le maintien d’un contrat de travail ou d’un mandat social ». Sont ainsi visés non seulement les salariés mais également toutes les personnes travaillant au sein du groupe de l’émetteur, c’est-à-dire y exerçant une activité professionnelle, au premier rang desquelles figurent évidemment les mandataires sociaux.

La notion de « conditions préférentielles » est plus vague mais pas moins large, d’autant que la Cour ne donne aucune précision sur les critères de ces conditions préférentielles. Si la Cour de cassation rejoint le Conseil d’État en la matière, l’absence d’un véritable « risque d’actionnaire » devrait emporter une telle qualification. Seraient donc qualifiés de conditions préférentielles les mécanismes exonérant – par le prix d’acquisition, par le prix de cession ou par les modalités particulières d’attribution ou d’exercice – les porteurs de tout ou d’une partie substantielle du risque de perte.

Il est en revanche probable que le (faible) nombre et la qualité (de dirigeant) des porteurs ne suffisent pas à caractériser les « conditions préférentielles ». Ces caractéristiques peuvent néanmoins constituer un indice qui, ajouté à d’autres, entraînera la requalification redoutée.

Une fois la requalification actée, la Cour précise que le fait générateur des cotisations sociales afférentes à un avantage est « la mise à disposition effective de l’avantage au salariés bénéficiaire de celui-ci ». En matière de BSA, cette mise à disposition effective correspond à la date à laquelle les bons deviennent exerçables ou peuvent être cédés.

Cet arrêt appelle à la prudence lors de la structuration des management packages, d’autant plus que le principe posé et le risque de requalification qui en résulte sont transposables à d’autres mécanismes d’intéressement des managers (hors intéressements dits légaux). 

Convention de partage de plus-value et risque fiscal

Un arrêt récent du Conseil d’État (CE 15 fév. 2019, n°408867) confirme le risque fiscal inhérent à la structuration de rétrocession de plus-value par voie d’accord contractuel.

« Lorsque les associés d’une société conviennent que la plus-value qu’ils sont susceptibles de réaliser lors de la cession concomitante de leurs actions avec celles d’un autre associé sera partagée avec celui-ci, la fraction de cette plus-value qui revient à ce dernier ne constitue pas pour lui un gain net retiré de la cession à titre onéreux de ses valeurs mobilières, au sens du 1 du I de l’article 150-0 A du code général des impôts. Lorsque les sommes en cause trouvent essentiellement leur source dans l’exercice par l’intéressé de fonctions de dirigeant ou de salarié, elles constituent un avantage en argent, au sens de l’article 82 du même code. »

Le Conseil d’État confirme que la « super plus-value » résultant d’un accord contractuel de liquidation préférentielle ne constitue pas une plus-value de cession de valeurs mobilières mais un « avantage en argent » imposable dans la catégorie des traitements et salaires dans la mesure où celle-ci « trouve essentiellement [sa] source dans l’exercice par l’intéressé de fonctions de dirigeant ou de salarié »

Selon la haute juridiction, ce paiement avait la nature « d’un versement, à caractère incitatif, destiné à rétribuer l’exercice effectif de ses fonctions de manager ainsi que les résultats et performances ayant résulté de cet engagement professionnel » et non celle « de la compensation d’un risque que celui-ci aurait couru en sa qualité d’investisseur »

En synthèse

  • La plus-value résultant de la cession de BSA est soumise à cotisations sociales si les BSA sont offerts en contrepartie ou à l’occasion du travail et ont été acquis à des conditions préférentielles
  • La « super plus-value » résultant d’un contrat de liquidation préférentielle conclu avec un dirigeant est imposable dans la catégorie des traitements et salaires

Ces arrêts rappellent la nécessaire prudence lors de la structuration des management packages, d’autant plus que le principe posé et le risque de requalification qui en résulte sont transposables à d’autres mécanismes d’intéressement des managers hors intéressements dits légaux (BSPCE, stock-options, actions gratuites, etc.). 

Le recours à des mécanismes alternatifs, notamment via les actions de préférence, peut en partie résoudre ces difficultés.

Francois-Devedjian

François Devedjian

Associé

Spécialiste du droit boursier et des fusions-acquisitions il intervient, en particulier, dans des offres publiques et des opérations de marchés de capitaux, ainsi que dans des fusions-acquisitions impliquant ou non des sociétés cotées.

Il conseille régulièrement des sociétés dont les titres sont négociés sur un marché réglementé en France, de grands groupes industriels et des sociétés innovantes à forte croissance, tant dans leur vie quotidienne qu’à l’occasion d’opérations spécifiques.

Son expertise est également sollicitée lors d’ introductions en bourse, d’émissions de titres de capital ou de titres donnant accès au capital, d’offres publiques d’acquisitions ou de cessions industrielles, de prises de participations, de LBO, de joint-ventures ou d’accords entre actionnaires.

Il conseille des entreprises industrielles, des banques, des fonds d’investissement ou des actionnaires désirant organiser leur participation.

Fabienne-Kerebel

Fabienne Kerebel

Counsel

Fabienne Kerebel a acquis une solide expertise du droit des sociétés cotées et non cotées et ses différentes composantes, en particulier le private equity et les fusions-acquisitions.

À ce titre, Fabienne conseille entreprises et dirigeants sur leurs opérations de croissance externe, l’évolution de leur gouvernance ou de l’actionnariat, l’intéressement des managers-clefs ou la réorganisation des structures sociétaires. Elle a développé une pratique approfondie des opérations sur titres financiers qui lui permet d’accompagner aussi bien start-up, PME et ETI dans leurs levées de fonds qu’investisseurs à tous les stades de leur investissement.

Son expérience dynamique auprès des entreprises et dirigeants lui a conféré une connaissance utile des secteurs sur lesquels elle intervient régulièrement tels le numérique et le digital, la communication, les biotechnologies, la santé, le luxe, les transports, la restauration ou les services.

En parallèle de son activité d’avocat, Fabienne a enseigné le droit des obligations et le droit des sociétés à l’université. Elle contribue très régulièrement à des revues juridiques spécialisées, avec un regard résolument pratique.