Les NFT, le Droit et la Fiscalité

Par Carine Duchemin, Associée et Line Poberznick

En dépit d’une présence croissante dans le monde du marché de l’art, les NFT (« Non-Fongible Tokens » ou « jetons non-fongibles ») ne font l’objet d’aucune réglementation propre tant en matière juridique que fiscale. Cela tient en grande partie au fait qu’à ce jour, il n’existe aucune définition juridique des NFT, et sans définition juridique claire, il est bien hasardeux d’appliquer un traitement fiscal approprié lors de l’acquisition, la détention ou la revente de ces NFT. 

Dès lors, seules des pistes de réflexion peuvent être évoquées. 

Mais tout d’abord, qu’est-ce qu’un NFT ?

D’un point de vue strictement technique, un NFT est un fichier, inscrit sur la blockchain, qui permet d’authentifier le propriétaire d’une chose, principalement de nature numérique. 

Par essence, les jetons non-fongibles sont uniques et identifiables. Ils ne sont pas interchangeables ou remplaçables par un autre token. S’ils sont le plus souvent liés à des œuvres d’arts, ils peuvent aussi être liés à d’autres biens, tels que par exemple, des personnages de jeux vidéo, des cartes à collectionner, des extraits de scénario manuscrit, etc. 

Ainsi, un des grands avantages des NFT, notamment dans le domaine de l’art, est d’ouvrir un marché jusqu’alors réservé à des collectionneurs. Pour les artistes, les NFT présentent également de nouvelles perspectives. Bref, tout un chacun pourrait désormais en quelques clics vendre et acquérir de l’art « dématérialisé », tout en permettant une protection des droits d’auteurs de l’artiste et du droit de propriété de l’acquéreur.

Qu’elle pourrait-être la définition juridique du NFT ?

Actuellement, le NTF pourrait correspondre à plusieurs qualifications. 

Tout d’abord, il peut être considéré comme un bien meuble (article 527 du Code civil). Les biens meubles sont soit corporels, soit incorporels. Le NFT, par son caractère numérique, est incorporel. Cependant, la catégorie des biens meubles incorporels est trop générale pour que son régime convienne à un bien si particulier.

De manière plus spécifique, un NFT peut être considéré comme un actif numérique. Depuis la Loi PACTE du 22 mai 2019, les actifs numériques sont divisés en deux catégories : les jetons numériques et les cryptoactifs. Ainsi, l’article 552-2 du code monétaire et financier (« CMF ») dispose que « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » est un jeton numérique. 

En effet, le NFT est un bien incorporel qui représente des droits conservés et transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement partagé permettant d’identifier directement le propriétaire du bien. Ainsi, le NFT pourrait être qualifié de jeton numérique, et donc d’actif numérique.

Cependant, si le NFT était juridiquement défini comme un actif numérique, cela emporterait l’application du régime juridique des actifs numériques tel que prévu par le CMF. Ainsi, tout émetteur de NFT procèderait, en ce sens, à une offre au public de jetons et devrait solliciter un visa de l'Autorité des marchés financiers (« AMF »). 

Dès lors, l’inclusion du NFT dans la catégorie des actifs numériques semble être une solution trop contraignante, alors même que le marché des NFT est encore récent et en pleine expansion. Cette définition n’est donc pas satisfaisante. 

Enfin, il pourrait être qualifié juridiquement par ce qu’il représente, par son sous-jacent. Le sous-jacent le plus fréquent des NFT est l’œuvre d’art. Il serait alors possible d’envisager qu’un NFT authentifiant la propriété d’une œuvre puisse être qualifié d’œuvre d’art.

C’est l’une des pistes explorées par l’ancien député de la 6ème circonscription de Paris, Pierre PERSON, qui a publié le 8 juin dernier, un rapport intitulé « Monnaie, banques et finance : vers une nouvelle ère crypto » dans lequel il propose de « donner une définition large du NFT en droit civil afin de donner un statut juridique à ces nouveaux objets numériques ». Le député préconise par ailleurs de considérer que les NFT sont « transparents » et que le régime applicable au NFT puisse découler de l’actif qu’il représente. Ainsi, dans le cas d’une œuvre d’art représentée sous forme de NFT, l’ensemble du régime juridique applicable aux œuvres d’art pourrait trouver à s’appliquer.

Cette piste se heurte néanmoins à un obstacle de taille : il n’existe pas à ce jour de définition des œuvres d’art, mais seulement des « listes » figurant dans quelques articles de codes.

Ainsi, l’article 98 A de l’annexe III du code général des impôts (« CGI »), datant de 1995, dresse une liste des œuvres d’art. L’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle (« CPI »), quant à lui, dresse une liste des œuvres de l’esprit, dont ne font pas parti, bien évidemment, les NFT.

Et en matière fiscale ?

Nous l’avons évoqué, définir juridiquement les NFT s’avère périlleux. C’est pourquoi la députée Véronique Louwagie a attiré l’attention du gouvernement sur le traitement fiscal à réserver à la commercialisation des NFT en lui posant une question écrite le 25 janvier 2022. Celle-ci est toujours sans réponse (à la date de publication de cet article).

Rappelons ici que la définition des cryptomonnaies au sein du CMF a permis à la Loi de finances pour 2020 d’instaurer un régime fiscal concernant les plus-values réalisées lors de la conversion de celles-ci en monnaie « FIAT » (monnaie ayant cours légal). 

De la même façon, une fois que le législateur aura défini les NFT, un régime fiscal pourra leur être appliqué. En attendant, seules des pistes de réflexion sur le régime fiscal à considérer peuvent être évoquées. En bref, voici les questions qu’un investisseur « amateur » devrait se poser avant d’investir.

Quelle fiscalité appliquer lors de l’acquisition d’un NFT ?

Fiscalement, l’achat d’un NFT ne devrait être soumis à TVA que si le vendeur est un assujetti à la TVA, c’est-à-dire qu’il exerce de manière habituelle, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique quels qu’en soient les buts ou les résultats. Ainsi, le marchand d’art ou l’investisseur professionnel qui vend un NFT « œuvre d’art » est un assujetti, et devra en principe soumettre sa vente à la TVA.

Puis se pose la question du taux de TVA applicable, qui dépend également de la définition notamment « fiscale » du NFT. Ainsi, un NFT qualifié de bien meuble incorporel devrait être soumis au taux de 20% alors qu’une œuvre d’art pourrait bénéficier du taux réduit de 5,5%.

Encore ces taux sont-ils valables pour une vente en France, mais les règles se compliquent à l’envie en cas de vente transfrontalière…

Une fois en possession de NFT, tout particulier investisseur doit réfléchir aux problématiques de transmission notamment dans le cadre d’une succession ou d’une donation. En principe, lors de toute transmission à titre gratuit, le bien transmis est soumis aux droits de mutation à titre gratuit. Dans le cadre d’une succession, il sera certainement nécessaire de faire évaluer le NFT ou le portefeuille de NFT (« Wallet NFT ») afin que les droits dus puissent être calculés. Mais tant que le NFT n’aura pas été vendu, comment déterminer sa valeur ? En tout état de cause, encore faut-il que l’existence de ce portefeuille soit connue des héritiers et que la « clé » (code secret donnant accès au Wallet) soit accessible…..

En cas de revente du NFT, en fonction de la définition juridique donnée aux NFT, l’imposition sera différente. 

Ainsi, si le NFT est défini comme un actif numérique, la plus-value réalisée sera imposée au taux de 30%, si le vendeur est un vendeur occasionnel (article 150 VH bis du CGI). En cas de moins-value, celle-ci pourra être imputée sur les plus-values réalisées cette même année. En revanche, elle n’est pas reportable sur les années suivantes ou antérieures. 

Si au contraire le NFT peut être assimilé à une œuvre d’art, c’est le prix de vente, et non la plus-value, qui sera imposé au taux de 6,5% (dont 0,5% de contribution sociale) dès lors que le prix de cession excède 5 000€ (et sera exonéré en deçà de ce montant). Toutefois, le contribuable, s’il y trouve avantage, pourrait opter pour le régime de l’impôt sur le revenu applicable aux cessions des biens meubles incorporels.

Enfin, si le NFT est considéré comme un simple bien meuble incorporel, ou sur option s’il est considéré comme une œuvre d’art, la plus-value sera imposée au taux de 36,2% (dont 17,2% de contribution sociale). Si ce régime paraît moins favorable que celui des actifs numériques, il permet néanmoins de bénéficier d’un abattement de 5% par année de détention au-delà de la deuxième année de détention. Ainsi, après 22 ans de détention, l’exonération de la plus-value serait totale. 

En conséquence, un particulier possédant des NFT devra être vigilant quant aux opérations qu’il souhaite effectuer dès lors qu’aucune législation adaptée n’existe pour le moment. 

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Dans cet article, nous n’avons fait qu’évoquer les problématiques auxquelles peuvent faire face les particuliers acheteurs occasionnels. Bien d’autres aspects mériteraient d’être étudiés, tels que la fiscalité pour les entreprises, artistes, investisseurs professionnels et autres, et ce tant dans un contexte national que dans le cadre d’échanges internationaux.

Notons en conclusion qu’un accord provisoire sur le règlement européen portant sur les crypto-actifs (MiCA) a été conclu la semaine dernière. Pour la première fois, l'UE rassemble dans un cadre réglementaire les crypto-actifs, les émetteurs de crypto-actifs et les prestataires de services sur crypto-actifs. Toutefois, les NFT sont actuellement exclus du champ d’application du règlement MiCA, mais, dans un délai de 18 mois, la Commission européenne sera invitée à préparer une évaluation complète et, si cela est jugé nécessaire, d'évaluer la nécessité de proposer un régime réglementaire spécifique pour les NFT et d'aborder les risques émergents de ce nouveau marché.

Affaire à suivre…

 

Carine-Duchemin

Carine Duchemin

Associée

Au sein du département Fiscal, Carine Duchemin intervient en fusion-acquisition, en restructuration d’entreprises et de groupes. Elle a une activité internationale importante comme conseil de groupes internationaux, notamment dans le domaine de l’hôtellerie. Carine Duchemin assiste également les entreprises et leurs dirigeants dans le cadre de contrôles et de contentieux fiscaux.