Par Nathalie Boudet-Gizardin, Avocat counsel et Mathilde Jannet, Avocat

La saga jurisprudentielle continue : initialement consacrée par le Conseil d’Etat, puis confirmée par la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, c’est au tour de la Chambre Civile d’entériner la fin du monopole des médecins en matière d’épilation à la lumière pulsée.

L’alignement des jurisprudences administratives et judiciaires

La pratique des actes d’épilation à la lumière pulsée par des personnes non médecins n’est plus illicite pour les juridictions pénales depuis un arrêt rendu par la Chambre Criminelle de la Cour de cassation le 31 mars 20201.

En effet, comme nous l’avions déjà évoqué dans un article du 25 mai 2020, dans cet arrêt, la Chambre Criminelle de la Cour de cassation s’est alignée sur la position dégagée par le Conseil d’Etat en matière d’épilation à la lumière pulsée.

Pour rappel, dans cette affaire, la Chambre Criminelle était saisie de la question de savoir si des personnes non-médecins, pratiquant des actes d’épilation à la lumière pulsée, pouvaient être sanctionnées au titre du délit d’exercice illégal de la médecine. 

En répondant par la négative, la haute juridiction pénale a opéré un revirement de jurisprudence manifeste, au sujet de la pratique des actes d’épilation à la lumière pulsée, en considérant que l’interdiction faite aux personnes autres que des médecins de réaliser de tels actes était contraire aux articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), garantissant la liberté d’établissement et la libre prestation de services.

En reprenant les différents arguments soulevés par le Conseil d’Etat, la Chambre Criminelle s’est incontestablement alignée sur la position retenue par le juge administratif dans un arrêt rendu par les 1ère et 4ème chambres réunies du Conseil d’Etat, le 8 novembre 20192. Rappelons que dans cet arrêt, le Conseil d’Etat avait prononcé l’illégalité, au regard du droit européen, de l’arrêté du 6 janvier 1962 réservant la pratique de l’épilation au laser ou à la lumière pulsée aux seuls médecins (cf. notre article publié le 16 janvier 2020). 

Toutefois, la solution retenue par la Chambre Criminelle de la Cour de cassation se distingue de celle retenue par le Conseil d’Etat, en ce qu’elle restreint l’apport de sa décision à la seule activité de l’épilation à la lumière pulsée, sans se prononcer sur les actes d’épilation au laser, pour lesquels le doute continue à planer... alors même que l’arrêt du Conseil d’Etat visait les deux types d’actes d’épilation.

Dans un second arrêt remarqué du 20 octobre 20203, la Chambre Criminelle a eu l’occasion de confirmer sa position.

Dans cette affaire, des personnes physiques et morales étaient poursuivies devant le Tribunal Correctionnel du chef d’exercice illégal de la médecine, pour avoir pratiqué et laissé pratiquer des actes d’épilation à la lumière pulsée dans des instituts de beauté, sans avoir le diplôme de médecin.

La Cour d’Appel de Rennes ayant confirmé cette condamnation pour exercice illégal de la médecine dans un arrêt du 18 septembre 2019, les prévenus s’étaient pourvus en cassation.

Dans son arrêt du 20 octobre 2020, la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Rennes, sans renvoi, en reprenant, à l’identique, les termes de son attendu de principe du 31 mars 2020

En effet, après avoir rappelé que « le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 8 novembre 2019 (n°424954), a estimé que l’interdiction de l’épilation à la lumière pulsée par les esthéticiens méconnaît, en tant qu’elle réserve ces modes d’épilation aux seuls docteurs en médecine, la liberté d’établissement et la libre prestation de services garanties par les articles 49 et 56 du TFUE », les juges ont considéré que :

- « en premier lieu, ladite interdiction n’est pas justifiée dès lors que les appareils en cause peuvent être acquis et utilisés par de simples particuliers et que leur usage est autorisé aux esthéticiens pour les soins de photorajeunissement qui présentent des risques identiques à ceux concernant l’épilation ;

- en second lieu, si l’épilation à la lumière pulsée est susceptible d’avoir des effets indésirables légers, selon le rapport et l’avis de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire (ANSES) d’octobre et décembre 2016, et d’être soumise à des restrictions pour des motifs d’intérêt général, il n’en résulte pas que ces actes d’épilation ne puissent être effectués que par un médecin ;

 -Au demeurant le gouvernement français a notifié à la Commission européenne un projet de décret ouvrant la pratique de l’épilation à la lumière pulsée aux esthéticiens sous certaines conditions de formation ».

Dès lors « au vu de ces éléments, il y a lieu de considérer que l’interdiction de l’épilation à la lumière pulsée par des personnes autres que des médecins est contraire aux articles précités du TFUE. Il s’ensuit que les prévenus ne peuvent être légalement condamnés pour exercice illégal de la médecine».

Ces revirements de jurisprudence successifs ont incité récemment la Chambre Disciplinaire Nationale de l’Ordre des Médecins (CDNOM) à faire preuve de davantage de clémence à l’égard des médecins ayant exercé dans des centres d’épilation laser aux côtés de non-médecins pratiquant illégalement l’épilation au laser.

En effet, dans deux décisions rendues le 21 octobre 20214, la CDNOM a considérablement diminué les sanctions prononcées par la Chambre Disciplinaire de Première Instance d’Ile-de-France (CDPI) à l’encontre de deux médecins poursuivis pour complicité d’exercice illégal de la médecine, pour avoir « couvert » des actes d’épilation au laser pratiqués par des esthéticiennes non habilitées à le faire, les faits étant antérieurs à la jurisprudence du Conseil d’Etat du 8 novembre 2019.

La CDPI avait alors prononcé, à l’encontre des deux médecins, la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant un an dont six mois avec sursis, dans la première affaire (n° 13860) et celle de la radiation du tableau de l’Ordre des médecins, dans la seconde affaire (n° 13960).

Or, dans la première affaire (n° 13860), la CDNOM a estimé qu’il n’était pas démontré que le médecin en cause aurait facilité l’exercice illégal de la médecine dès lors que ce médecin « pratiquait elle-même les actes d’épilation sur les patientes adressées par le centre ou rencontrées dans le cadre des remplacements effectuées en qualité de médecin généraliste ». Compte tenu toutefois du défaut de communication de son contrat au Conseil départemental de l’Ordre des Médecins dans le délai légal d’un mois, la CDNOM lui a infligé la sanction de l’avertissement.

Dans la seconde affaire (n° 13960), la CDNOM a estimé que le médecin appelant était fondé « à se prévaloir de la décision du 8 novembre 2019 par laquelle le Conseil d’Etat a jugé que l’arrêté du 6 janvier 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins méconnaît la liberté d’établissement et la libre prestation de services, en tant que le 5° de son article 2 réserve les modes d’épilation au laser ou à la lumière pulsée aux docteurs en médecine, pour écarter le grief retenu par les premiers juges de méconnaissance de l’article R.4127-30 du code de la santé publique » et a prononcé seulement un blâme à son encontre. 

En outre, dans ces deux affaires, le médecin concerné avait quitté le centre d’épilation laser au moment où il avait pris conscience des dysfonctionnements de ce dernier, liés à la pratique d’épilations au laser par des esthéticiennes non habilitées, circonstance qui a été prise en compte par la CDNOM pour alléger la sanction prononcée. 

L’alignement des jurisprudences pénales et civiles

Alors que la position retenue par le juge pénal concernant la pratique des épilations à la lumière pulsée par des personnes non-médecins est désormais bien ancrée, la question subsistait sur le plan civil : la Chambre Civile allait-elle s’aligner sur la solution retenue par la Chambre Criminelle ?

Saisie de deux affaires portant sur des contrats de franchise, la Première Chambre Civile de la Cour de cassation est venue apporter, le 19 mai 20215, une nouvelle pierre à l’édifice de l’évolution jurisprudentielle déjà bien amorcée.

En espèce, un contrat de franchise avait été conclu entre une société (le franchiseur) et une personne physique (le franchisé) qui souhaitait ouvrir un institut esthétique pour y pratiquer, entre autres, des actes d’épilation à la lumière pulsée. 

N’ayant pas obtenu les financements espérés, les franchisés ont, dans les deux affaires, invoqué, avec une certaine mauvaise foi, la nullité du contrat de franchise pour cause illicite. Ils faisaient valoir que la pratique d’actes d’épilation à la lumière pulsée par des non-médecins, proposée par le franchiseur, était une activité illicite relevant d’un exercice illégal de la médecine, et que, par conséquent, elle était insusceptible de faire l’objet d’une convention.

Dans la première affaire (n° 19-25.749), la Cour d’Appel a conclu à la licéité du contrat de franchise. 

Pour parvenir à une telle solution, les juges du fond ont fait preuve d’une certaine audace, en considérant que :

  • « concernant la dépilation par lumière pulsée, les textes contradictoires du code de la santé publique régissant ce domaine doivent être interprétés à la lumière du règlement européen UE 2017/745 du 5 avril 2017 adopté qui sera prochainement applicable dans le secteur des appareils litigieux, notamment son article XVI, paragraphe 5, qui n'assimile pas aux actes médicaux les équipements à lumière pulsée utilisée sur le corps humain » ;
  • de nombreux centres d’épilations à la lumière pulsée sont ouverts sans que les pouvoirs publics en interdisent l’activité et des appareils d’épilation à la lumière pulsée sont en vente libre auprès du public ;
  • aucun décret d’application tel que visé par l’article L. 1151-3 du Code de la santé publique6 n’est intervenu pour interdire l’usage des appareils à la lumière pulsée à visée esthétique.

Dans la seconde affaire (n° 20-17.779), la Cour d’Appel a, en revanche, prononcé la nullité des contrats de franchise au motif qu’ils avaient une cause illicite, refusant ainsi de suivre le sens des revirements de jurisprudence précités. 

C’est sans grande surprise que les juges de la Première Chambre Civile ont rejeté le pourvoi formulé par le franchisé dans la première affaire, et cassé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel dans la seconde affaire, au motif que :

« la pratique par un professionnel non médecin d’épilation à la lumière pulsée n’est plus illicite et que, si elle peut être soumise à des restrictions pour des motifs d’intérêt général, elle ne justifie pas l’annulation des contrats que ce professionnel a pu conclure aux seuls motifs qu’ils concernent une telle pratique ».

Pour parvenir à ce revirement de jurisprudence très prévisible, les juges civils se sont appuyés sur la solution dégagée par la Chambre Criminelle, quelques mois plus tôt, qui avait retenu que « les personnes non médecins pratiquant l’épilation à la lumière pulsée ne pouvaient être légalement condamnées pour exercice illégal de la médecine ».

L’ouverture de la pratique de l’épilation à la lumière pulsée à des personnes non-médecins reste au cœur des préoccupations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES).

Dans un avis publié en juin 2021 relatif aux risques associés aux épilateurs à la lumière intense pulsée7, l’ANSES a, en effet, alerté sur les dangers liés à l’utilisation de ces appareils. Pour prévenir ces risques et limiter leurs effets indésirables, l’ANSES recommande d’encadrer le marché des appareils d’épilation à la lumière pulsée en inscrivant ces dispositifs dans un cadre réglementaire adapté et en proposant un socle commun de formation pour les professionnels amenés à les utiliser.

Depuis le 26 mai 2021, le règlement européen n° 2017/745, relatif aux dispositifs médicaux, soumet certains appareils à finalité non médicale, tels que les appareils d’épilation à la lumière pulsée, au même régime que celui applicable aux dispositifs médicaux. 

Dès lors, la mise sur le marché de ces appareils d’épilation à la lumière pulsée est désormais réglementée et conditionnée au respect d’exigences similaires à celles applicables aux dispositifs médicaux8 mettant en œuvre des technologies équivalentes à la lumière pulsée, telle que celle du laser : constitution d'un dossier démontrant la conformité de l’appareil aux exigences du règlement européen, rédaction d’un cahier des charges des études cliniques d’efficacité et d’innocuité, etc.

Si les juridictions judiciaires semblent désormais être alignées sur la fin du monopole des médecins en matière d’épilation à la lumière pulsée, l’incertitude demeure concernant les actes d’épilation au laser. La Cour de cassation va-t-elle, pour la pratique de ces actes, s’aligner sur la position adoptée par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 8 novembre 2019 ? La réponse, tant attendue par les professionnels de santé et par les centres d’épilation laser, ne saurait certainement tarder, ce secteur d’activité étant incontestablement en évolution constante. 

  • 1 - Cass. crim., 31 mars 2020, n° 19-85.121, Publié au bulletin
  • 2 - CE, 1-4 chr, 8 nov. 2019, n° 424954, Lebon T.
  • 3 - Cass. crim., 20 oct. 2020, n° 19-86.718
  • 4 - CNOM, 21 oct. 2021, n° 13860 et n° 13960
  • 5 - Cass. 1re civ., 19 mai 2021, n° 19-25.749 et n° 20-17.779, Publié au bulletin
  • 6 - Article L. 1151-3 du Code de la santé publique « Les actes à visée esthétique dont la mise en œuvre présente un danger grave ou une suspicion de danger grave pour la santé humaine peuvent être interdits par décret après avis de la Haute Autorité de santé. Toute décision de levée de l'interdiction est prise en la même forme.
  • 7 - ANSES, Avis et rapport relatifs aux risques associés aux épilateurs à lumière pulsée intense (IPL), 10 juin 2021
  • 8 - Règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux, modifiant la directive 2001/83/CE, le règlement (CE) n° 178/2002 et le règlement (CE) n° 1223/2009 et abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE. (J.O.U.E. du 05-05-2017)
Portraits GINESTIÉ MAGELLAN PALEY-VINCENT 2021

Nathalie Boudet-Gizardin

Counsel

Elle a rejoint le cabinet la même année au sein de l’équipe Civil et Santé de Catherine Paley-Vincent. Elle conseille les acteurs de santé particulièrement en matière de :

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