Par Nicolas Lepetit, Associé et Audrey Essaghe

Par deux arrêts très attendus rendus le 11 mai 2022, la Chambre sociale de la Cour de cassation a validé le barème d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, dit barème « Macron », institué en 2017 et codifié à l’article L. 1235-3 du Code du travail.

La Haute juridiction met ainsi un terme à une saga judiciaire qui, pendant cinq années, avait vu plusieurs tribunaux s’affranchir des limites fixées par ce barème pour indemniser plus généreusement les salariés injustement congédiés, au cas par cas.

Le barème avait été jugé conforme à la Constitution dans une décision du Conseil constitutionnel en date du 21 mars 2018 (n°2018-761), mais plusieurs Conseils de prud’hommes et Cours d’appel en avaient écarté l’application en se fondant sur des conventions internationales.

La Charte sociale européenne n’a pas d’effet direct…

Dans l’une des affaires (n°21-15.247), le salarié avait invoqué le bénéfice de l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui prévoit le droit pour les travailleurs licenciés sans motif valable de percevoir une indemnité « adéquate », que ne permettrait pas le barème « Macron » dans certaines circonstances.

Comme elle l’avait déjà implicitement jugé s’agissant des forfaits annuels en jours (Cass. Soc. 29 juin 2011, n°09-71.107), la Cour de cassation considère que cette Charte n’a pas d’effet direct dans un litige entre particuliers, notamment parce qu’elle ne crée d’obligations qu’à la charge des États signataires et que le contrôle du respect de cette norme est confié au Comité européen des droits sociaux (CEDS) qui n’a pas de caractère juridictionnel.

…contrairement la Convention n°158 de l’OIT…

Dans la seconde affaire (n°21-14.490), la Cour d’appel de Paris avait écarté le barème « Macron » sur le fondement, cette fois, de l’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui prévoit lui aussi le versement d’une indemnité « adéquate » en cas de licenciement injustifié.

Comme l’assemblée plénière de la Cour de cassation l’avait déjà jugé dans deux avis rendus le 17 juillet 2019 (n°19-70.010 et 19-70.011), la Chambre sociale considère que, contrairement à la Charte sociale européenne, la Convention de l’OIT est d’effet direct en droit interne, après avoir relevé qu’elle reconnaît des droits aux travailleurs, que ses stipulations ne nécessitent pas d’acte complémentaire pour être définies et que ses modalités d’application sont laissées à l’appréciation des juges.

…qui toutefois n’autorise pas une appréciation in concreto du préjudice du salarié injustement licencié

Il appartenait ensuite à la Cour de cassation de définir si le contrôle de la conventionnalité du barème « Macron » au regard de la Convention n°158 de l’OIT devait s’apprécier in concreto, comme l’avait retenu la Cour d’appel et le soutenait le salarié, ou in abstracto.

La Cour de cassation considère que le barème « Macron » répond aux exigences posées par le conseil d’administration de l’OIT qui, en 1997, avait décidé que l’indemnisation est « adéquate » lorsque, d’une part, elle est suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié et, d’autre part, elle permet raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.

Dans le second arrêt du 11 mai 2022, la Haute juridiction relève en effet que :

-       Le caractère dissuasif de l’indemnisation est assuré par le mécanisme de remboursement des allocations chômage à Pôle Emploi, dans la limite de six mois (article L. 1235-4 du Code du travail) ;

-       La gravité de la faute de l’employeur est prise en compte, puisque l’application du barème est écartée en cas de nullité du licenciement pour l’une des causes définies par la loi : violation d’une liberté fondamentale, agissements de harcèlement moral ou sexuel, discrimination, méconnaissance d’une protection légale (mandat de représentant du personnel, grossesse et maternité, accident du travail et maladie professionnelle, etc.) ; dans ce cas, le juge doit accorder au salarié qui ne demande pas sa réintégration une indemnité qui ne peut être inférieure à six mois de salaire, sans aucun plafonnement (article L. 1235-3-1 du Code du travail) ;

-       En dehors des cas de nullité, le barème « Macron » prévoit une indemnisation comprise entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction de l’ancienneté du salarié et, indirectement, du montant de son salaire, ce qui permet au juge, de manière individualisée, d’apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due, mais entre le plancher et le plafond fixés par le barème.

En conclusion, la Cour de cassation juge que le barème « Macron » est compatible avec l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT. Elle rejette l’appréciation in concreto (qui aurait permis au juge de s’écarter du barème en fonction des circonstances de l’espèce), considérant qu’une telle appréciation méconnaîtrait le principe d’égalité des citoyens devant la loi, celui de sécurité juridique, ainsi que la volonté du législateur. Dans sa notice explicative, la Cour de cassation relève que « le risque aurait été grand de substituer au barème du législateur un barème du juge en fonction de motifs inhérents à la personne du salarié, sans en revêtir la même légitimité ».

Quels enseignements ?

Le mérite des deux décisions rendues le 11 mai 2022 est, conformément aux intentions du législateur, d’offrir une plus grande prévisibilité aux employeurs et aux salariés : les premiers connaissent leurs risques au moment de procéder à un licenciement, et les seconds connaissent leur espoir de gain au moment de contester cette mesure.

Pour échapper au plafonnement des indemnités, bon nombre de salariés, sans attendre ces décisions, se sont placés et se placeront encore sur le terrain de la nullité de la rupture, parfois de manière justifiée, parfois de manière plus artificielle simplement pour contourner les restrictions indemnitaires qui viennent d’être consacrées par la Haute juridiction.

Nicolas-Lepetit

Nicolas Lepetit

Associé

Avant de rejoindre Ginestié Magellan Paley-Vincent, Nicolas Lepetit a exercé au cabinet Legrand Bursztein Beziz et avocats (LBBa), puis au cabinet Bersay & Associés pendant plus de 10 ans et en dernier lieu en qualité de Of Counsel.